cours sur le chapitre 3

1 Chapitre 3. Le processus de la mise à l’agenda

L'analyse des politiques publiques doit d'abord comprendre les processus de mise sur agenda des problèmes, c'est-à-dire la façon dont certaines questions en viennent à requérir une intervention des autorités publiques. Dès lors, pour aborder le processus de la mise à l'agenda, il est important de s'intéresser d'abord sur les éléments définitionnels de l'agenda politique  et ses implications (section1) ensuite sur les prismes institutionnels et l'inscription sur l'agenda qui sont les éléments phares du processus de la mise à l'agenda (Section2) et enfin sur les limites de la mise à l'agenda(section3) .

Section1 : Les éléments de définition de l'agenda politique et ses implications

Nous allons étudier les tentatives de définition de l'agenda politique (Paragraphe1) avant d'examiner les implications de ces dernières. C'est à dire la différence entre  agenda institutionnel et agenda systémique (paragraphe2).

Paragraphe1 : Les tentatives de définition de l'agenda politique

John Kingdon définit l'agenda politique comme : « la liste des sujets ou problèmes auxquels les acteurs gouvernementaux et les personnes évoluant à proximité du gouvernement accordent une sérieuse attention à un moment donné »[1].

Quant à Philippe Garraud, il définit l'agenda politique comme : « l'ensemble des problèmes faisant l'objet d'un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités publiques et donc susceptibles de faire l'objet d'une ou plusieurs décisions, qu'il y ait controverse publique, médiatisation, mobilisation ou demande sociale et mise sur le « marché » politique ou non »[2].

Franck Baumgartner de son côté définit l'agenda politique de façon un peu différente : «L'agenda politique est l'ensemble des problèmes qui sont l'objet de décisions et de débats au sein d'un système politique particulier à un moment donné. »[3] . Partant de ces définitions, il nous parait important de faire la différence entre  agenda institutionnel et agenda systémique. D'où l'implication des éléments définitionnels de l'agenda politique à savoir la différence entre agenda institutionnel et agenda système.

Paragraphe2 : La différence entre agenda institutionnel et agenda systémique

Ces définitions de l'agenda politique  attirent l'attention sur deux dimensions différentes de ce que l'on peut entendre par agenda politique : d'une part les problèmes qui font l'objet de discussions politiques ; d'autre part les objets de préoccupation des autorités publiques. De ce point de vue, les précisions opérées par Cobb et Elder (in the dynamics of agenda building, 1983) sont particulièrement satisfaisantes. Ces dernières distinguent entre un agenda systémique qui « englobe tous les enjeux et problèmes communément perçus par les membres de la communauté politique comme méritant l'attention publique » et un agenda institutionnel qui recouvre « l'ensemble des sujets qui font explicitement l'objet de la prise en compte sérieuse et active des décideurs ».

Alors que le premier est global, relativement abstrait et concerne les problèmes sociaux qui sont l'objet d'une préoccupation au sein de la communauté politique, le second est plus spécifique et relié à l'action des gouvernements dans la mesure où ils regroupent les sujets qui figurent parmi les préoccupations quotidiennes des dirigeants. Si les deux s'entrelacent dans la réalité sociale et politique, ils ne recouvrent cependant pas les mêmes phénomènes. Un problème reconnu comme méritant l'attention des autorités publiques n'est pas nécessairement construit en objet de politiques publiques. Cette distinction entre les types d'agendas conduits à une différenciation essentielle : il peut très bien exister un processus de politisation, c'est-à-dire un processus d'accès d'un thème à l'espace public (avec un débat public autour de ses orientations, une prise en charge par les médias...) sans que cela ne se traduise par une mise sur agenda au sens institutionnel. A la lumière des éléments définitionnels de l'agenda politique et ses implications, nous allons étudier  les prismes institutionnels et l'inscription sur l'agenda.

Section2 : Les prismes institutionnels et l'inscription sur l'agenda

C'est à ce niveau que nous pourrons bien analyser le processus de mise à l'agenda. Pour se faire, voyons l'inscription sur l'agenda  (paragraphe1) avant de s'interroger sur les prismes institutionnels (paragraphe2).

Paragraphe1 : L'inscription sur l'agenda

L'inscription sur  l'agenda est l'étape première de toute politique publique. Elle en est la condition. L'inscription sur agenda correspond au moment où les autorités publiques prennent un problème, un thème en considération et l'inscrivent à court, moyen ou long terme comme l'une des actions qu'ils auront à mener. Ceci étant dit, l'étude de l'agenda portera sur les modes d'inscription sur l'agenda (A) d'une part et sur les modèles de mise à l'agenda et leurs implications(B) d'autre part.

A.Les modes d'inscription sur l'agenda

Sur point deux questions se posent : y a-t-il un débat public ? y-a-t-il un début de réponse ? Quatre points importants peuvent nous apporter des réponses à ces questions à savoir :

- l'inscription complète : débat public et début de réponse. C'est le scénario le plus favorable, il va bien pénétrer la sphère politico-administrative (ex de débats publics sur les moyens de prévention et de lutte contre le coronavirus à l'échelle nationale et internationale).

- l'inscription factice : elle suppose un  débat public mais pas de début de réponse (ou un début de réponse très localisé) mais pas de traitement global du problème. Ex : l'euthanasie en France ou le problème des retraites).

- la non-inscription : des problèmes butant sur l'agenda, ni début, ni réponse pour les acteurs politiques. Ces phénomènes se produisent s'il y'a saturation de l'agenda politique.

Ex : pendant la guerre du Golfe un certain nombre de problèmes n'ont pas été mis sur l'agenda, de même pendant les 3 à 6 mois avant une élection.

- l'émergence : cas particulier d'émergence et d'inscription : problème qui sort de la sphère étatique et qui y revient ex : l'intégration européenne, il n'y pas de débat public mais les élites administratives l'inscrivent sur l'agenda. Un même problème peut connaître différents types d'inscription. Ceci étant dit, il convient de préciser qu'il  existe deux variables d'agenda :

a) l'agenda continu :

Rassemble les problèmes constamment inscrits à l'agenda pour lesquels il y a de manière continue débat public et intervention de l'Etat. Ex : la question de la prévention et de la lutte contre le terrorisme international, la problématique de la lutte contre la cybercriminalité, et la bonne gouvernance continuent  de faire l'objet de débat public aussi bien interne qu'en externe. Autre l'agenda continu, nous avons également l'agenda de type structurel.

b) l'agenda structurel :

Ex : problèmes qui surgissent à un moment donné et qui mobilisent l'attention de manière éphémère, puis disparition de l'agenda (ex : le plan orsec Sénégal initié dans le cadre de la prévention et de lutte contre les inondations). Après l'étude des modes d'inscription nous allons aborder ces différentes modèles.

B.Les modèles   d'inscription  sur l'agenda et leurs implications

Nous allons étudier successivement les modèles d'inscription(a) et leurs implications(b)

a)Les modèles de mise à l'agenda  politique

On doit à Phillip. Garraud (« Politiques nationales : élaboration de l'agenda », 1990) une tentative de systématisation en cinq modèles des différents processus pouvant conduire à une mise sur agenda institutionnel des problèmes publics.

- Le modèle de la mobilisation qui repose sur l'action de groupes organisée porteurs d'intérêts socioprofessionnels et/ou d'une revendication plus idéologique : la mise sur agenda résulte d'une mobilisation politique extérieure au gouvernement. On peut ici donner l'exemple des mobilisations pour les droits civiques au cours des années 1960 aux Etats-Unis ou contre le nucléaire dans les années 1970 dans plusieurs pays européens.

- Le modèle de l'offre politique qui désigne l'action d'organisations politiques se saisissant d'un thème en raison de sa rentabilité politique supposée : c'est la compétition politique qui est le moteur de la mise sur agenda. Des forces politiques opposées s'emparent d'un sujet qui devient ensuite un objet de politiques publiques.

On peut ici penser aux questions de l'insécurité ou de l'immigration reprises par les partis politiques en France, dans leurs campagnes électorales contribuant à en faire une priorité d'action gouvernementale.

- Le modèle de la médiatisation, dans lequel les médias jouent un rôle autonome, en imposant certains champs d'action au gouvernement. Stricto sensu, cette logique de médiatisation suppose que les médias ont une fonction centrale dans le déclenchement de certaines affaires. Lato sensu, les exemples de situations où l'amplification médiatique de certains phénomènes sociaux conduit à leur prise en compte par les autorités publiques pourraient être multipliés : que l'on songe ici aux scandales financiers ou aux scandales de santé publique, les médias sont une véritable caisse de résonance de mobilisations sociales et politiques.

- Le modèle de l'anticipation dans lequel les acteurs politico administratifs jouent un rôle central en s'autosaisissant de certaines questions. A la différence du modèle de l'offre politique, cette mise sur l'agenda ne suppose pas nécessairement qu'une question soit devenue objet de compétition politique. Ce qui est beaucoup plus important ici, c'est la question des savoirs et croyances mobilisés par les fonctionnaires et les experts à l'intérieur des arcanes gouvernementales. On peut citer comme exemple les politiques de lutte contre le tabagisme ou contre l'insécurité routière en France au cours des années 1960-1970 dans la mesure où ces politiques résultent d'abord de la mobilisation interne à l'appareil d'Etat.

- Le modèle de l'action corporatiste silencieuse qui repose sur l'action de groupes organisés auprès des gouvernements sans controverses et conflits publics (contrairement un modèle de la mobilisation). Les groupes organisés se mobilisent discrètement auprès des segments de l'administration avec lesquels ils entretiennent des relations proches pour faire prendre en compte un problème précis. En matière d'armement, par exemple, certains travaux soulignent les complicités qui existent entre industriels et personnels administratifs qui conduisent à la mise sur agenda de certains programmes militaires. L'analyse et l'interprétation de ces modèles de mise à l'agenda révèlent que l'on oscille ici entre contrôle et ouverture. D'où l'étude des implications des modèles d'inscription sur l'agenda.

b)Les implications des modèles de mise à l'agenda : les dynamiques d'ouverture des agendas.

Un auteur du nom de john. Kingdon[4] s'intéressant toujours aux dynamiques d'ouverture des agendas  pose les questions suivantes : comment les acteurs politiques définissent-ils leurs sujets prioritaires ? Pourquoi certaines alternatives reçoivent-elles plus d'attention que d'autres?

Pour répondre à ces questions, Kingdon met en évidence trois courants différents :

Le courant des problèmes : une première influence sur les agendas peut résulter de la marche inexorable de certains problèmes. Il peut s'agir de crises, de désastre qui attire l'attention du public et des décideurs. Ces événements marquants (focus event) peuvent être des crashs aériens (attirant l'attention sur le manque de sécurité des transports aériens), des catastrophes alimentaires (ex : la viande folle, le poulet à la dioxine....) des crises sanitaires (, grippe porcing, grippe aviaire et  le coronavirus). Mais la pression peut également résulter d'un changement dans un indicateur reconnu comme fiable : l'augmentation des dépenses dans un secteur précis d'action publique par exemple. Enfin, les acteurs gouvernementaux peuvent apprendre des problèmes publics existants, par le biais d'évaluation ou de plaintes adressées par les usagers.

C'est selon ces trois dynamiques (événements, indicateurs, évaluation) que la reconnaissance des problèmes peut conduire à des modifications de l'agenda.

Le courant des solutions : une deuxième raison pour laquelle des sujets peuvent entrer sur l'agenda est l'accumulation de savoirs ou l'adoption de solutions partagée par les spécialistes du secteur. Le développement d'une technologie, la diffusion de nouvelles théories scientifiques peut conduire à remettre en cause les politiques existantes. Ici, c'est plus l'existence de solutions, de propositions consensuelles qui devient le moteur. C'est ainsi par exemple que la propagation au cours des années 1960 de travaux d'économistes remettant en cause les bienfaits de la régulation a pu alimenter la mise sur agenda de la question de la régulation de certains secteurs (Inversement, les travaux sur la crise financière de 2008 ont remis à l'ordre du jour la nécessité de la régulation).

Le courant politique : les changements au sein de l'univers politique sont des causes essentielles de mise sur l'agenda. L'arrivée d'une nouvelle administration suite à une alternance, un changement au sein de l'opinion publique, une nouvelle orientation doctrinale au sein des partis politiques. Une mobilisation de groupes d'intérêts, présents, pèsent sur l'entrée de nouveaux sujets au sein de l'agenda public. A la lumière de ce qui vient être analysé, il est important de noter que la mise à l'agenda bien qu'étant une phase non négligeable dans l'analyse des politiques politiques, connait des limites.

Section3 : Les limites de la mise sur l'agenda

La mise sur agenda, comme nous avons pu le voir précédemment, est une étape fondamentale dans la mesure où elle représente souvent la naissance d'une politique publique.

La première limite qu'il convient de souligner tient au rôle essentiel d'un des acteurs de la mise sur agenda : les médias. Ces derniers ont un poids énorme dans la prise en compte d'un problème par les responsables politiques notamment car ils constituent un relais important de l'opinion publique mais aussi car ils participent de la formation de celle-ci.

En cela les médias peuvent « parasiter » le débat et ils sont un moyen relativement efficace de manipulation de l'opinion publique. Ils créent une représentation de la société qui peut être faussée par la défense de certains intérêts.

Pour autant, on peut nuancer quelque peu l'importance de ce rôle. En effet, les acteurs de la mise sur agenda sont multiples et complexes et, de fait, la médiatisation ne saurait être une condition nécessaire et suffisante de la prise en compte d'un problème. Ainsi il existe des cas où la simple mobilisation de groupes de pression ou d'associations auprès des pouvoirs publics a permis la mise sur agenda d'un problème sans que cela fasse grand bruit.

D'autre part, il faut également noter que même la gravité ou le caractère urgent d'un problème ne suffisent pas forcément à le faire inscrire dans les priorités des responsables politiques. Cela tient au fait que l'espace public est limité dans sa capacité à accueillir des enjeux nouveaux. A titre d'exemple on peut citer le cas des tentes d'habitation provisoires des populations des zones inondées  qui ont placé le problème du logement social au centre de l'actualité en 2005 au Sénégal. La politique sénégalaise  de 100000 logements au niveau national de 2020 est également illustrative. En effet, on ne peut dire que cette question soit nouvelle. Elle se pose depuis des dizaines d'années, et toujours de manière grave et urgente comme l'atteste les cas noyades  de 2013[5]. Pour autant, elle n'avait pas bénéficié d'un tel écho avant 2005.

En somme, on peut admettre que les travaux sur l'agenda ont pour principal objectif de comprendre comment et pourquoi certains problèmes en viennent à requérir l'attention des autorités gouvernementales. Ils restituent les processus à travers desquels certains problèmes sociaux deviennent des problèmes politiques. Ces processus sont très divers : dynamiques médiatiques, mobilisation bruyante (ou silencieuse) des groupes d'intérêts, logique de la compétition politique et anticipation des acteurs bureaucratiques se combinent.

Partant de toute cette analyse, il est clair que la mise à l'agenda est un processus complexe qui mérite une attention particulière pour l'analyse des politiques publiques. A côté de la mise à l'agenda ; nous avons la prise de la décision qui est également une phase importante dans l'analyse des politiques publiques. 



[1] John Kingdom, Agendas, alternatives and public policies, N.Y, 1995).

[2] Cf Philippe Garraud, « Politiques nationales : élaboration de l'agenda », l'Années sociologique, 1990.

[3]Voir  Franck Baumgartner, « Political agenda », 2001.

[4](John. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies, N.Y, 1995).

[5] Environs neufs cas de corps sans vie selon les informations relayées par la presse sénégalaise