Chapitre 6 : Enzymes utilisant la catalyse acide

1 Anhydrase carbonique

En milieu aqueux l’acidité des ions métalliques augmente avec le nombre d’oxydation du métal. Cette propriété est exploitée dans les métalloenzymes. Les métalloenzymes peuvent servir de catalyseur acide par l’acidité de Lewis du métal ou l’acide selon Bronsted du ligand augmentant l’acidité comme résultat de la coordination à un ion métallique. L’ion métallique d’une métalloenzyme peut également être capable de jouer des rôles qu’il ne peut pas avoir dans les petits complexes en solution.

Par exemple, le site actif de l’enzyme peut être protégé de l’environnement aqueux pour empêcher l’hydratation ou pour modifier la permittivité de la solution.

            L’ion Zn2+ est un acide de Lewis très commun en biochimie. Il est intéressant de voir pourquoi le Zn plutôt que le Mg2+ et le Cu2+. Une des différences est que le Zn2+ est plus soft que le Mg2+, ce qui fait de Zn2+ un  acide de Lewis  fort vis-à-vis de nombreuses biomolécules. L’ion Cu2+ est aussi soft mais contrairement au Zn2+, il peut avoir un état d’oxydation de +1 ce qui peut permettre des réactions rédox et compliquer son comportement.

Un autre point est que la catalyse en général requiert la réorganisation des atomes. Il en résulte que les réactions rapides se produisent plutôt sur les ions métalliques qui, lorsque ces réactions affectent la structure des ligands, peuvent fixer et libérer rapidement leurs ligands.  Les complexes du Zn2+ sont plus labiles que leurs homologues du Mg2+ et du Ni2+. En outre, le réarrangement géométrique (un aspect du comportement fluxionnel) est en général facile pour les complexes du zinc, ce qui n’est pas le cas pour les complexes correspondants de Mg2+ et de Cu2+. Le seul ion suffisamment similaire au Zn2+ pour être utilisée par le système biochimique est le Cd2+. Mais le cadmium est plus rare que le zinc. Les fonctions caractéristiques du Zn2+ sont résumées ci-après :

  1. Il est plus abondant que le Ni, Cd, Fe, Cu ;
  2. Il est plus fortement complexé que Mn2+, Fe2+ ;
  3. Il échange des ligands plus rapidement que Ni2+, Mg2+ ;
  4. N’a pas d’activité redox comparable à Cu2+, Fe2+, Mn2+ ;
  5. Sa coordination est plus flexible que le Ni2+, Mg2+ ;
  6. Bon acide de Lewis, parmi les ions M2+, seul Cu2+ est plus fort que lui.

    L’anhydrase carbonique est une enzyme présente à la surface plasmique intercellulaire des globules rouges qui transforme le CO2 en H2CO3 et inversement. Une enzyme est une protéine qui joue le rôle de catalyseur biologique c’est-à-dire de composé qui facilite une réaction biochimique sans en modifier les produits. L’anhydrase carbonique contenant du Zn2+ est caractéristique et représentative de la famille importante des hydrolases. L’anhydrase carbonique sert de fonction simple mais importante de l’hydratation et de déhydratation de CO2.

    CO2 + H2O → H2CO3

    Comme les mécanismes de la plupart des enzymes, l’identification du processus est complexe et fonction de plusieurs facteurs. Ainsi, pour être prudent, plusieurs possibilités doivent être envisagées. Cette enzyme contenant du Zn2+ existe sous plusieurs formes génétiquement distinctes, appelées isozymes, désignées par les chiffres romains de I à VII. L’anhydrase carbonique fait partie d’un ensemble d’enzymes hydrolytiques qui comprennent entre autres la carboxypeptidase qui facilite la coupure entre les aminoacides des protéines, et la phosphatase alcaline qui catalyse l’hydrolyse des esters phosphoriques.

    Plusieurs outils ont été utilisés pour caractériser l’anhydrase carbonique. La structure cristalline de plusieurs isoenzymes de l’anhydrase carbonique ont été déterminé en présence d’inhibiteur cinétique. Dans ces complexes, le Zn est tétracoordiné avec trois histidines et la 4éme position est occupée par une molécule d’eau ou un ion hydroxyle.

    Les vitesses des réactions directe et inverse de l’équilibre d’hydratation de CO2 augmentent lorsque le pH augmente. Cette observation a conduit à suggérer que le ligand H2O s’échange rapidement avec un ligand OH- coordiné au zinc, qui sert de nucléophile vis-à-vis de CO2. Le Cycle 1 montre ce cycle mécanistique : il comporte l’attaque rapidement équilibrée de l’atome de carbone de CO2 par le ligand OH- de Zn2+, suivie de la formation d’un ion transitoire Zn2+ pentacoordiné où un oxygène carbonato de HCO3- se coordine à l’ion Zn2+. Après réarrangement, le ligand HCO3- est déplacé par H2O. La déprotonation de H2O coordinée à Zn2+ régénère ensuite le ligand OH- qui peut attaquer une autre molécule de CO2 et répéter le cycle catalytique.

     


    Ce mécanisme est basé en partie sur la structure cristalline de l’anydrase carboxylique attestée par la diffraction des rayons X. Elle atteste la présence d’une poche hydrophobe (qui doit accueillir le groupement CO2 apolaire) voisine du site proposé pour l’association de CO2. D’autre part, les spectres IR, pris après l’association initiale de CO2 avec une forme inhibée de l’enzyme, indiquent que le CO2 est dans une région hydrophobe.

    L’hydratation et la déshydratation rapide de CO2 par l’anhydrase carbonique semblent se produire dans un site  hydrophobe au voisinage de Zn2+.