Théorie du champ cristallin

2 Modèle du champ cristallin pour le complexe octaédrique

Si nous considérons un métal Mn+ à l’état gazeux libéré de toute interaction, les cinq orbitales d ont la même énergie. On dit qu'elles sont dégénérées (même niveau énergétique).

Si ce métal est en interaction avec 6 ligands que nous supposerons être des charges ponctuelles. Il y a certes attraction entre le cation et les ligands mais en un moment donné de l’approche il y a des répulsions entre les électrons du ligand et les électrons du métal. Le modèle du champ cristallin, fondé sur l'interaction électrostatique, se base sur la déstabilisation de l'ion métallique central par approche des ligands.

Dans l'approche du champ cristallin, les ligands sont considérés comme des centres chargés négativement et qui interagissent avec les électrons des lobes des orbitales d du métal; la répulsion entre ces entités de charge identique conduit à une répulsion.

          Répulsion « orbitale d / ligand »

Lorsqu'un élément de transition s'entoure de ligands, leur interaction électrostatique déstabilise l'espèce métallique. A l'approche des ligands, l'ion central est déstabilisé, son énergie augmente. La conséquence sur la déstabilisation de l'ion central est la levée de dégénérescence et le dédoublement des 5 orbitales atomiques en deux séries d'orbitales atomiques : 2 OA eg et 3 OA t2g.

Dans le cas d'un environnement octaédrique de l'ion métallique, les lobes dx2-y2 et dz2 des orbitales et centrés le long des axes Ox, Oy, Oz pointent vers les ligands.

En revanche les lobes dxy, dyz et dzx centrés le long des bissectrices des angles xOy, yOz, zOx pointent entre les ligands.

    Pour un d1 les ligands étant considérés (pour l’unique électron) comme des centres chargés négativement, le peuplement des orbitales d va être gouverné par la minimisation des répulsions électrostatiques. Les lobes des orbitales mixtes dxy, dyz et dzx étant plus éloignés des ligands que ceux des orbitales carrées dx2-y2 et dz2, il s'ensuit que si l'électron occupe une des trois orbitales (dxy, dyz et dzx) les répulsions électrostatiques seront minimisées.

L'électron, en se plaçant dans l'une de ces trois orbitales (qui sont parfaitement identiques d'un point de vue symétrie), va minimiser son énergie. Ceci revient à considérer que les trois orbitales dxy, dyz et dzx sont de plus basse énergie que les orbitales dx2-y2 et dz2.

 Diagramme énergétique

L'importance de la déstabilisation des cinq orbitales d et la levée de la dégénérescence dépendent de la forme et de la symétrie du complexe. Elle est évaluée par la différence d'énergie entre deux groupes d'orbitales (dx2-y2 et dz2) et (dxy, dyz et dzx). Elle est appelée énergie du champ cristallin.

La présence des six ligands en symétrie octaédrique provoque ainsi un écart énergétique (ou champ octaédrique) ou .énergie de d´doublement des orbitales Δ0 = 10 Dq entre les orbitales eg et t2g. Dq étant une unité faisant intervenir la nature du ligand et du métal ; la notification 10 Dq provient du fait que cette énergie est mesurée par spectroscopie optique. Δ0 = 10 Dq représente l’éclatement du champ cristallin octaédrique qui ; en terme d’énergie exprime la séparation des niveaux t2g et eg.

Δ0 = Nhc/λ (en kJ/mol) λ étant la longueur d’onde de la bande d’absorption

Δ0 = 1/λ (en cm-1) ; 1 cm-1 correspond à 11,97.10-3 kJ/mol

Dans la distribution de type sphérique les orbitales sont dégénérées quand on passe de la distribution sphérique à la distribution octaédrique les orbitales mixtes se stabilisent alors que les orbitales carrées se déstabilisent.

Dans cette géométrie, ce sont les OA d et dx²-y² (eg) qui pointent dans la direction d’approche des ligands qui sont plus déstabilisées que les OA dxy, dyz, dxz (t2g) pointant le long des bissectrices des angles de liaison. L’écart énergétique Δ0 entre les OM t2g  et les OM eg  est une caractéristique de la « force » du champ créé par les ligands. Pour l’ion métallique libre de configuration dn la structure électronique de l’état fondamental est régie par la règle de Hund qui dit que cet état est celui de plus haute multiplicité de spin. Pour des ligands induisant un Δ0 élevé on parlera de ligands à champ fort qui donnent des complexes de type « high spin » (les électrons n’ont pas tendance à se coupler et le spin reste élevé) et pour un Δ0plus réduit de ligands à champ faible qui donnent des complexes de type « low spin » (les électrons ont tendance à se coupler et le spin est globalement faible).

2-1 Configurations électroniques champ faible et champ fort

Dans le cas d'un complexe octaédrique, comme [Fe(H2O)6]2+ ou [Fe(CN)6]4-, le modèle du champ cristallin montre que la déstabilisation de l'ion central, à l'approche des ligands,  est accompagnée de la levée de dégénérescence des cinq OA d de l'ion fer (II) en deux niveaux, et suivie d'une nouvelle répartition des électrons sur de nouvelles OA : les OA eg et t2g.

[Fe(H2O)6]2+

3/5 Δ0 = + 6 Dq et - 2/5 Δ0 = - 4 Dq

La valeur de l'écart d'énergie Δ0 dépend de la nature du ligand : on distingue donc les ligands à champs faibles (low spin) et à champs forts (high spin). Pour [Fe(H2O)6]2+, Δ0 (H2O) = 10 400 cm-1 (λ = 961,5 nm) et pour [Fe(CN)6]4-, Δ0 (CN-) = 33 800 cm-1 (λ = 295,8 nm).

Selon que le ligand soit à « fort » ou « faible », on formera un complexe à champ fort ou à champ faible.

Selon la valeur de l'énergie Δ0 entre les deux niveaux d'énergie E(eg) et E(t2g), les électrons auront la possibilité de se positionner soit en s'appariant sur la t2g, soit en se maintenant non apparié sur les eg.

C'est en comparant Δ0 à l'énergie d'appariement des électrons (P) que l'on distinguera les complexes à champ fort et à champ faible. Pour Fe2+, P = 19 200 cm-1.

Notons que la configuration électronique de l'ion Fe2+ (Z = 26) est : 1s2 2s2 2p6 3s2 3p6 3d6.

Par conséquent, pour  [Fe(H2O)6]2+ , comme Δ0 < P, il sera "moins coûteux" en énergie de placer les 6 électrons de l'ion fer (II) sur le niveau eg que de les apparier.

La configuration de l'ion fer (II) dans [Fe(H2O)6]2+ , est donc : t2g4eg2, et le complexe est paramagnétique du fait de la présence de 4 spins électroniques non appariés (S = 4.1/2 = 2).

Pour  [Fe(CN)6]4- , comme Δ0 > P, il sera "moins coûteux" en énergie d'apparier les 6 électrons de l'ion fer (II) que des les placer sur le niveau eg.

La configuration de l'ion fer (II) dans [Fe(CN)6]4- , est donc : t2g6eg0, et le complexe est diamagnétique du fait de l'absence de spins électroniques non appariés (S = 0).

Selon la valeur de l'énergie du champ cristallin (10 Dq), un ion métallique en symétrie octaédrique peut adopter deux configurations électroniques différentes respectant l'une et l'autre les considérations suivantes :

      soit les électrons peuvent peupler l'ensemble des orbitales eg et t2g. Dans ce cas la règle de Hund est respectée mais les électrons « payent un prix » pour aller se loger dans les orbitales eg plus hautes en énergie de 10 Dq que les orbitales t2g.

      soit la valeur de 10 Dq est très élevée et uniquement les orbitales de type t2g pourront être peuplées. Dans ce cas, le « prix » à payer est lié au fait que les électrons doivent s'apparier dans une même orbitale. Un électron doit entrer dans une orbitale avec un spin antiparallèle à celui de l'électron déjà présent.

Ainsi, deux répartitions des électrons dans les orbitales d peuvent être envisagées (un exemple est donné pour un ion d5 dans la figure ci-dessous). Elles correspondent à deux configurations électroniques différentes :

 Représentation de deux configurations électroniques d'un ion d5 (par exemple Mn(II)) selon que la valeur de 10 Dq est faible (cas A) ou forte (cas B)

Ainsi, deux configurations électroniques sont possibles et appelées configuration champ faible (A) ou configuration champ fort (B).

 

2-2 Comparaison « Energie d'appariement des électrons / Energie du champ cristallin »

Afin d'évaluer quelle configuration électronique un ion de transition peut adopter au sein d'un composé de coordination, il apparaît nécessaire de comparer 10 Dq à une énergie de référence constante.

La différence entre les configurations champ fort et champ faible est le nombre d'électrons non appariés. Reprenons les exemples précédents :


 Représentation de deux configurations électroniques d'un ion d5

Pour A, tous les électrons sont non appariés alors que pour B, seul 1 électron est non apparié.

Il apparaît donc deux caractéristiques importantes :

      la valeur du nombre quantique de spin total S (  avec ) peut caractériser une configuration électronique,

      l'énergie d'appariement des électrons peut constituer une énergie de référence dans la mesure où le passage de A à B (correspondant à un accroissement de la valeur de 10 Dq) s'accompagne d'une augmentation du nombre d'électron apparié A → S = 5/2, B → S = 1/2.

L'énergie de référence est donc l'énergie d'appariement des électrons, notée P.

Ainsi, si  10 Dq < P il sera plus facile de peupler les orbitales de plus haute énergie (eg dans un environnement octaédrique) que d'apparier les électrons dans celles de plus basse énergie (exemple : t2g).

La configuration la plus stable sera A, et sera nommée configuration champ faible ou haut spin.

En revanche, si 10 Dq > P, c'est l'appariement qui sera favorisé.

La configuration la plus stable sera alors B, et sera nommée configuration champ fort ou bas spin.

2-3 Energie de Stabilisation du Champ Cristallin (ESCC) 

A chaque configuration électronique, on peut associer une énergie de stabilisation du champ cristallin (ESCC). Elle correspond au gain ou à la perte d'énergie de l'ion en symétrie octaédrique par rapport à la symétrie sphérique.

En règle générale, un complexe métallique adoptera toujours la configuration de plus basse énergie. Prenons un complexe en symétrie octaédrique, il adopte le schéma énergétique suivant :


Diagramme énergétique

Dans un complexe sphérique, l'énergie des orbitales d est prise comme zéro d'énergie. Dans un complexe à symétrie octaédrique, le jeu des orbitales t2g est plus bas en énergie de 4 Dq ; quant au jeu des orbitales eg, il est plus haut de 6 Dq.

Dans une tel complexe, si les électrons sont forcés de s'apparier dans une même orbitale, l'énergie de stabilisation du champ cristallin sera altérée par l'énergie d'appariement P des électrons.

Pour la configuration  possédant p paires d'électrons appariés, on calcule l'énergie de stabilisation du champ cristallin ESCC selon :

ESCC = x(-4Dq) + y(+6Dq) + pP

Ou encore : ESCC = x(-2/5 Δ0) + y(3/5Δ0) + pP

p est le nombre de paires électroniques susceptible d’être formés dans la répartition.

Elle correspond au gain ou à la perte d'énergie de l'ion en symétrie octaédrique par rapport à la symétrie sphérique.