Chapitre 3 : Réactions biologiques faisant intervenir des métaux

2 Exemples de réactions d’oxydo-réduction en milieux biologiques

2-1) Les fonctions métaboliques essentielles du Cuivre

a) Généralités

Le Cuivre : co-facteur clé dans de nombreux processus oxydo-réducteurs et pour le transport d’oxygène. En milieu biologique, Cuivre (+ I) et (+ II).

Cuivre + I : préférentiellement Cystéine et Méthionine (ligand S)

Géométrie tétraédrique (4 ligands) ou trigonale (3 ligands).

Cuivre (+ II) : préférentiellement ligands azotés (Histidine) ou oxygénés (Sérine, Thréonine, Tyrosine ou H2O)

Géométries variées (carré plan, bipyramide à base triangulaire, bipyramide à base carrée, …).

Les sites actifs répartis en 3 classes, en fonction de leurs caractéristiques spectroscopiques :

 Type 1 (T1) : forte absorption vers 600 nm : coloration bleue intense de l’enzyme, d’où le nom de protéine cuivre bleue.

1 noyau métallique contenu dans le site actif.

→ bipyramide à base triangulaire ou tétraèdre déformés.

 Type 2 (T2) : 1 centre métallique est incolore.

Principal ligand : l’Histidine.

Géométrie: moins restrictive   plus grand nombre de structures.

 Type 3 (T3) : 2 noyaux métalliques liés l’un à l’autre via un ligand

Forte absorption à 330 nm.

4ème classe : 3 noyaux métalliques sous forme de cluster à 3 centres : 1 centre (1 noyau) T2 et l’autre centre (2 noyaux) T3.

Exemple : Laccases, site T2/T3 (+ 1 troisième site métallique de type T1).

b) Galactose oxydase (EC 1.1.3.9)

α – Structure de la biomolécule

La Galactose oxydase : - enzyme extra-cellulaire

- un seul fragment polypeptidique (639 acides aminés)

- secrétée par certaines variétés de champignons et de moisissures pathogènes

β – Structure du métallobiosite

1 seul centre métallique, de type T2, au degré d’oxydation + II, à proximité de la surface de la protéine.

Pyramide à base carrée.

Cu entouré de 5 ligands :

  2 ligands Histidines : His496 et His581 ;

  2 ligands Tyrosines : Tyr272 et Tyr495 (en position axiale) ;

  1 molécule d’eau H2O ou un acétate.

Galactose oxydase : seule métalloenzyme à posséder deux résidus Tyrosines dans son environnement de coordination.

Présence d’une liaison thioéther entre Tyr272 et Cys228, en position ortho de la fonction phénol du résidu Tyrosine.

C-S-C : liaison intramoléculaire formée par l’enzyme elle-même (« self-processing »), de façon réversible en présence d’oxygène O2 avec intervention du Cuivre, absolument indispensable à l’activité catalytique de l’enzyme.

  Enzyme monomérique avec 2 sites oxydo-réducteurs.

γ - Fonction biologique de la Galactose oxydase

Catalyse la réaction d’oxydation d’alcools primaires en aldéhydes correspondant, notamment les dérivés de type galactose.

Réaction extrêmement sélective : systématiquement en position 6 du fragment galactose.

Réaction concomitante : réduction d’oxygène O2 en peroxyde d’hydrogène H2O2 : phénomène relativement rapide, pour la production rapide de peroxyde d’hydrogène afin d’assurer la défense de l’organisme contre les bactéries.

Réaction globale d’oxydation d’alcool primaire en aldéhyde :

R-CH2OH + O2 → R-CHO + H2O2

Alcool primaire    aldéhyde

δ - Mécanisme

Grandes lignes connues mais mécanisme global non encore totalement élucidé.

Plusieurs hypothèses mais une certitude : nécessité d’un seul centre métallique mais de 2 électrons.

Oxydation de Cys228 par de l’oxygène et du Cuivre (+ II)

  → liaison thioéther avec Tyr272 puis le radical libre phénoxy.

Tyr495 récupére le proton labile de la fonction alcool primaire du substrat.

L’alcoolate réagit ensuite avec le radical phénoxy Tyr272

  → radical cétyle extrêmement réactif

  → transfert d’un électron en excès du cétyle vers l’atome central Cuivre (+ II).   Réduction du Cu (+ II à + I) et transformation du cétyle en aldéhyde.

En présence d’oxygène O2, Cuivre + I est réoxydé en Cuivre + II, et O2 est réduit en peroxyde d’hydrogène H2O2, en régénérant le site actif initial.

c) Tyrosinase (EC 1.14.18.1)

α – Structure de la biomolécule

Tyrosinase : différentes enzymes qui catalysent l’oxydation de noyaux phénoliques, comme la Tyrosine, ou polyphénoliques.

Tyrosinases : isolées à partir de nombreux organismes, très fréquentes parmi les eucaryotes, mais également chez certains procaryotes.

Toutes ces enzymes n’ont pas forcément la même structure :

Tyrosinases issues des Streptomyces genus, Streptomyces glaucescens et Neurospora crassa : monomériques.

Tyrosinase issue de la moisissure de l’Agaricus bisporus : protéine tétramérique, comportant deux types de sous-unités différentes.

Tyrosinase d’origine humaine : glycoprotéine.

β – Structure du métalobiosite des Tyrosinases

2 centres métalliques T3, chaque centre est coordiné par 3 ligands Histidines (N) (triangulaire). 1 molécule d’O2 peut s’intercaler entre ces deux centres.

γ – Fonction biologique des Tyrosinases

Tyrosinases : très fréquentes dans les moisissures et chez les vertébrés, catalysent l’étape initiale de la formation de la mélanine et autres pigments, à partir de la Tyrosine.

Elles catalysent, deux types de réactions, liées l’une à l’autre :

  ortho-hydroxylation d’un mono-phénol, en ortho-diphénol ou catéchol :

  → oxydation à deux électrons de l’ortho-diphénol en ortho-quinone.

δ – Mécanisme

Oxygène incorporé dans le substrat lors de l’ortho-hydroxylation, provient d’O2.

Les deux électrons requis pour assurer la réduction du second atome d’oxygène en H2O proviennent du substrat

Les noyaux métalliques cuivriques conservent leur degré d’oxydation (+ II).

  → L’enzyme assure l’intégralité des transferts électroniques.

Première possibilité : - intercalation d’O2 entre les centres métalliques

- fixation d’un phénol, par l’un des centres cuivriques

- un oxygène intercalé réagit sur le noyau aromatique pour générer un précurseur du diphénol.

Deuxième possibilité, après fixation d’O2 entre les centres métalliques :

- fixation d’un noyau aromatique portant deux groupements hydroxy en position ortho

- Réaction avec l’oxygène intercalé

  → génération d’ortho-quinone et H2O.

- Présence d’un second pont hydroxy entre les deux centres métalliques

  → fixation d’une nouvelle molécule ortho-diphénol et répétition du processus.

d) Laccases (EC 1.10.3.2)

α – Structure de la biomolécule

Laccase : famille de glycoprotéines faisant partie des Multicopper Blue Proteins (MBP ou protéines bleues à plusieurs noyaux cuivres).

Classées en 2 groupes, en fonction de leur provenance (plantes ou moisissures de champignons).

Egalement présentes dans quelques bactéries.

Fort degré de similitude entre les Laccases, avec certaines différences locales.

β – Structure du métallobioiste des Laccases

Un trait commun des Laccases : 4 centres métalliques cuivre, 1 T1, ou Cuivre bleu, et un cluster à 3 noyaux T2/T3.

Cuivre T1 connecté au cluster trinucléaire T2/T3 par un fragment tripeptidique His-Cys-His.

T1 et T2/T3 : séparés de 12,5 Å, caractéristique des laccases.

γ – Fonction biologique des Laccases

Laccases : catalysent l’oxydation d’ortho- et para-diphénols, amino-phénols, polyphénols, polyamines, aryldiamines, et certains ions inorganiques.

Réaction d’oxydation couplée à une réaction de réduction de O2 en eau.

Exemple : oxydation des lignanes (phénols) qui en polymérisant en lignine, polyphénol, de masse molaire est supérieure 10 000 g.mol-1 (10 kDa).

δ – Mécanisme

Plusieurs hypothèses mécanistiques ont été proposées mais le substrat est systématiquement oxydé à proximité du site T1.

Les électrons libérés au cours de cette réaction sont transférés au cluster T2/T3.

Transfert électronique rendu possible du fait de la proximité des centres métalliques (distance : 12,5 Å).

Le substrat est oxydé à proximité du site T1 qui est réduit en Cu+.

Cet électron est ensuite transféré à un autre centre métallique cuivrique de type T2 ou de type

T3, régénérant le centre cuivrique T1 et un centre métallique cuivreux T2 ou T3.

Le noyau cuivrique T1 peut dès lors être impliqué dans un nouveau processus d’oxydation du substrat tout en étant à nouveau réduit en Cu+.

Ce processus se répète jusqu’à ce que tous les centres métalliques se retrouvent à l’état de Cu+ forme totalement réduite qui ne peut plus participer à l’oxydation d’un substrat.

Intervention d’O2 pour régénérer les centres cuivriques et reprise du processus réactionnel.

e) Quercétinase (EC 1.13.11.24)

α – Structure de la biomolécule

Quercétinase ou 2,3-QD : glycoprotéine homodimère (2 monomères protéiques identiques) de masse molaire voisine de 50 kDa avec deux noyaux Cuivre (1 Cu de type T2/monomère).

Exprimée par des champignons, se développant sur des milieux de culture contenant de la quercétine, comme source de Carbone et d’énergie.

β – Structure du métallobiosite

Centre métallique de type T2, entouré de 3 ligands Histidines : His66, 68 et 112.

2 géométries distinctes :

  → tétraèdre déformé : cuivre entouré de 3 ligands Histidines et 1 H2O

  → bipyramide trigonale : Glu73 participe à la complexation.

Les deux géométries sont importantes pour l’activité catalytique de l’enzyme.

γ – Fonction biologique

Quercétine : dérivé aromatique de la famille des flavonoïdes.

Flavonoïdes : molécules organiques présentes dans le monde végétal, assurant un grand nombre de fonctions biologiques.

Quercétine : un des flavonoïdes les plus abondants dans la Nature.

Quercétinase : catalyse la réaction de dioxygénation des flavonols comme la quercétine, en produisant du monoxyde de carbone et le depside correspondant (ester phénolique) :

  → consommation d’O2

  → piège à oxygène ou à radicaux libres.

δ – Mécanisme

1ère étape : génération d’une espèce activée :

- complexation du Cu(+II) par le substrat organique déprotoné par échange acidebase

avec Glu73 avec génération de Cu(+I)

  → activation du ligand organique, qui va réagir avec de l’oxygène moléculaire, en générant un intermédiaire bi-radical

  → formation d’un intermédiaire cyclique endo-peroxyde à 5 chaînons, dont 2 atomes d’oxygène liés entre eux

2ème étape : ouverture de ce cycle réactif par clivage de plusieurs liaisons covalentes, pour libérer le depside et CO.

2-2) Le Cobalt en milieux biologiques

a) Introduction

Cobalt : élément trace le moins abondant dans le corps humain : vitamine B12 et ses cofacteurs.

b) Vitamine B12 et co-facteurs

Existence: suggérée dans les années 1920 (Minot & Murphy, 1926).

Structure : élucidée par diffraction des rayons X (Hodgkin).

α – Structure de la métallobiomolécule

Vitamine B12, ou cobalamine.

Co : - degré d’oxydation + III

- géométrie octaédrique :

- entouré d’1 macrocycle tétraazoté (« corrine »)

- 2 ligands axiaux, dont un (CN) (ligand artificiel). Dans la Nature, « méthyle »

(méthylcobalamine) ou « adénosyle » (5-déoxyadénosylcobalamine)

Dans tous les cas, 1 trait commun : une liaison Co-C, ce qui en fait l’un des rares composés

organométalliques naturels.

β – Fonctions biologiques

Vitamine B12 et d’acide folique : impliqués dans la synthèse de l’ADN

Vitamine B12 : co-facteur organométallique fondamental pour une réaction de transfert de groupement méthyle.

2 réactions enzymatiques dépendantes de la vitamine B12 sont connues :

- la conversion de l’Homocystéine en Méthionine.

- la conversion de l’acide méthylmalonique en acide succinique.

Déficience en vitamine B12 : dérèglement de ces processus biochimiques pouvant entraîner une hyper-homocystéinémie, i. e. augmentation du niveau d’Homocystéine dans le sérum sanguin.

γ – Mécanisme

La vitamine B12 et ses co-facteurs : rôle important dans différentes réactions, dont le transfert d’un méthyle vers l’Homocystéine pour générer la Méthionine.

Réaction catalysée par la Méthionine synthétase, enzyme vitamine B12 dépendante.

Enzyme, de type Méthyl transférase, constituée d’une chaîne protéique de 1227 résidus acides aminés (masse molaire de l’ordre de 136 kDa).

Au cours de ce processus, la vitamine B12 accepte le groupement méthyle cédé par le CH3-H4 folate, avant de le transférer à l’Homocystéine. Le Cobalt est oxydé du DO + I au DO + III.

Les complexes de Cobalt sont des espèces très réactives, notamment au DO + I.

De nombreux mécanismes ont été suggérés. 3 proches de la réalité, sans certitude :

- mécanisme de type SN2, analogue à celui décrit en Chimie Organique

- addition oxydante d’un groupement méthyle sur l’atome de Cobalt

- transferts électroniques impliquant à chaque fois un seul électron