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Chimie des clusters d'éléments de transition

Chimie des clusters d'éléments de transition

Site: Université Alioune DIOP de Bambey
Cours: CHIMI 5132 : Chimie inorganique appliquée 2
Livre: Chimie des clusters d'éléments de transition
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: vendredi 17 mai 2024, 00:37

1 Introduction

Le terme “cluster ” a été introduit  en 1960 par  F. A. Cotton pour définir des agrégats d’atomes métalliques reliés entre eux par des liaisons métal-métal. Ils sont obtenus avec des métaux de transition 4d et 5d dans leur bas degré d’oxydation. Les clusters octaédriques Mo6 et Re6 forment avec des ligands halogène et/ou chalcogène des motifs M6L8L6. Les composés inorganiques à cluster constituent de bons précurseurs pour l’élaboration de matériaux hybrides par des réactions de chimie douce en solution. Les motifs [Mo6X14]2- (X = Cl, Br, I) présentent des propriétés de luminescence intéressantes pour le domaine de la biotechnologie (large spectre d’émission 580-900 nm). Dans le but d’utiliser ces clusters anioniques avec leurs contre-cations comme particules luminescentes (par exemple pour la bio-imagerie), il est nécessaire de les insérer dans des matrices inertes afin d’éviter tout phénomène de diffusion ionique, oxydation des clusters ou échange des ligands dans les milieux aqueux. Dans cette optique, l’une des stratégies proposées a été d’insérer des composés à clusters de formule Cs2[Mo6X14] dans des nanoparticules de SiO2 par une synthèse par microémulsion dans un milieu eau/huile. Des mesures par microscopie électronique en transmission à balayage  ont mis en évidence l’insertion des clusters avec leurs contre-cations au sein des nanoparticules de SiO2. Ainsi est également apparue une similitude intéressante entre fragments organométalliques du Mo ou W et du Pt lorsqu’ils pontent une liaison métal-métal : dans les deux cas, le nombre d’électrons qu’ils apportent au cluster est identique, ce qui permet de comprendre des structures apparemment très différentes les unes des autres.

2 Isomérie de squelette métallique

Une étude expérimentale et théorique d’une famille de clusters mixtes Pt2Mo2 a été motivée par leur propriété de s’isomériser très facilement au niveau du cœur métallique : de losange à papillon et tétraèdre.

On a découvert l’exemple le plus spectaculaire jamais décrit d’isomérie de cœur métallique dans un cluster moléculaire, induite uniquement par le solvant de cristallisation et conduisant à des variations de distance métal-métal supérieures à 0,5 Å entre les isomères.

La réversibilité de cette transformation montre la très faible différence d’énergie entre les deux isomères, et la facilité avec laquelle les paramètres de liaison intramoléculaires sont affectés par l’environnement cristallin revêt également une importance “pédagogique”  certaine.

3 Réactivité multicentre

Un cas remarquable de réactivité hétérométallique a été découvert avec un complexe Ni-Mo qui permet la dimérisation de l’acrylate de méthyle, alors que les complexes homométalliques correspondants sont totalement inactifs.

Bien que le complexe final soit mononucléaire, la nécessité d'un système hétérométallique pour cette dimérisation fut démontrée. Simultanément, une autre réaction d’activation C-H de l’acrylate conduit pour la première fois à un cluster triangulaire. Aucun des systèmes homodinucléaires Mo2 ou Ni2 correspondants n’est capable d’effectuer cette transformation.
La propriété essentielle des clusters de posséder plusieurs centres métalliques à proximité les uns des autres ouvre la voie à des réactions intramoléculaires mettant en jeu une coopérativité intermétallique. Des résultats particulièrement originaux, aussi bien sur les plans conceptuels qu’appliqués, sont à attendre d’une activation de ligands pontant, qui par définition sont absents en chimie mononucléaire. La phosphine cétone Ph2PCH2C(O)Ph peut être activée par un cluster du ruthénium pour conduire à un nouveau mode de liaison pontant-chélatant, très original, pour le ligand phosphinoénolate correspondant.

Sa réactivité pourrait être comparée à celle du même ligand dans d’autres modes de liaison. Si l’on s’attend à ce que le cœur métallique exerce une grande influence sur la réactivité de la fonction énolate, le nouveau ligand assembleur P, O pontant-chélatant devrait à son tour modifier la réactivité et la stabilité du cluster métallique.
En chimie du platine, on a observé des réactions d’activation des liaisons P-C (phényle) et C-H de ligands phosphines qui conduisent à des molécules di- et trinucléaires originales. Une compréhension des conditions d’activation des ligands par les métaux dans leurs degrés d’oxydation inférieurs est tout à fait essentielle à la détermination des conditions optimales de réaction en catalyse homogène. On sait par exemple que de telles réactions peuvent conduire à la désactivation du catalyseur, comme c’est le cas en hydroformylation des oléfines.
La réactivité d’un complexe dinucléaire Pt(I)-Pt(I) vis-à-vis d’électrophiles métalliques a permis de mettre en évidence des différences importantes entre ions isoélectroniques à configuration d10: si Cu+, Ag+ et Au+ s’additionnent sur la liaison métal-métal, Hg2+ conduit à une oxydation sélective avec ouverture de la liaison Pt-Pt.

La réactivité de tels complexes dinucléaires du Pt (I) à ponts phosphuro avec ces électrophiles, reliés entre eux par l’analogie isolable, a permis d’isoler de nouveaux clusters Pt2Ag et Pt2Cu originaux permettant de mieux comprendre, voire de prédire, les sites les plus réactifs dans des molécules complexes à liaisons métal-métal. Un autre exemple de réactivité multicentre originale montre que la présence de plusieurs centres métalliques à proximité les uns des autres ouvre la voie à des réactions intramoléculaires mettant en jeu une coopérativité intermétallique. Ainsi, le cluster trinucléaire du platine évoqué est riche en électrons, comme l’atteste sa réaction avec des électrophiles métalliques et réagit avec l’iode en donnant lieu à un couplage P-C entre ligands du cluster. Cette réaction très originale, l’induction par oxydation à l’iode d’un couplage réducteur P-C entre le phényle et un groupe PPh2 adjacent, représente le chemin inverse de la formation de ces complexes. Ceci suggère que dans de nombreux cas où un couplage entre fragments organiques stabilisés par un cluster est recherché (par exemple en chimie du CO ou dans des réactions de couplage carbone-hétéroélément), c’est peut-être dans des conditions oxydantes qu’il faut se placer, et non pas dans des conditions réductrices comme c’est généralement le cas.

Dans le but de relier l’activité catalytique remarquable et bien connue des complexes du Pt en hydrosilylation des oléfines, on a examiné la réactivité d’un silane avec un cluster de type Pt3 et ceci a conduits à isoler et caractériser les premiers clusters du Pt à liaison directe Pt-Si.

On a montré, pour la première fois que des phosphine-oxazolines pontantes peuvent stabiliser des complexes hétérométalliques, en formant des cycles à 6, alors que les ligands pontants habituels forment des cycles à 5 particulièrement stabilisés. Ceci a conduit à des complexes Fe-Cu et Fe-Co.

4 Métallosélectivité dans les clusters mixtes, synergie et coopérativité

L’étude de la métallosélectivité dans les clusters mixtes vis à vis de nucléophiles a porté sur les clusters tétraédriques mixtes HMCo3(CO)12 (M = Fe, Ru), complexes beaucoup étudiés en raison de leur intérêt structural et de leur activité en catalyse homogène dans la chimie du CO (carbonylation du méthanol). En particulier, il est connu que l’addition de certains ligands permet d’améliorer considérablement l’activité et/ou la sélectivité catalytique.

Si les phosphines substituent sélectivement un CO lié à un atome de cobalt, les amines comme NEt3 déprotonnent ces clusters mais ne substituent pas un CO lié au ruthenium. Un grand nombre de ces réactions ont pu être suivies par RMN du 59Co et/ou du 99Ru. De telles études sont indispensables pour une meilleure compréhension du rôle des ligands utilisés comme additifs dans des réactions catalytiques impliquant ces espèces. Une première étude RMN multi noyaux détaillée a conduit à la compréhension des couplages entre noyaux de spin 1/2 et un noyau quadripolaire. Ces clusters tétraédriques permettent en effet de réaliser des études comparatives très originales en RMN du 59Co, en solution et à l’état solide, qui donnent accès pour la première fois aux constantes de couplages ainsi qu’à l’étude des mouvements de micro dynamique par détermination des temps de relaxation.

On a pu établir des comparatifs entre clusters FeCo3 et RuCo3 en fonction des nucléophiles (atomes donneurs N, P, S ou Te) et du (des) ligand(s) partant(s) (CO ou autre ligand donneur de 2 électrons dans le cas des systèmes déjà substitués). L’étude de la métallosélectivité dans les clusters mixtes vis à vis d’électrophiles a également conduit à des résultats originaux : coordination sélective et activation des alcynes, réarrangements structuraux inédits induits par l’électrophile métallique dans des complexes à ponts µ2-PR2, coordination sélective du ligand NO+, sa réduction partielle en ligand µ3-NH induite par le cluster.

La coordination sélective d’ions d10 (Cu+, Ag+, Au+) puis de Hg2+ sur la face Co3 du tétraèdre, confère pour la première fois à cet ion un environnement constitué de 6 voisins métalliques et permet l’assemblage de plus gros clusters mixtes de manière contrôlée.

5 Premiers clusters mixtes à ligands borole ou boratanaphtalène

L’utilisation, pour la première fois en chimie des clusters, de ligands de type borole, boratabenzène et boratanaphtalène a permis d’explorer le comportement et les modes de liaisons de fragments organométalliques reliés par l’analogie isolable à des systèmes exclusivement carbonés. Un ligand borole C4H4BPh est donneur de 4 électrons, au lieu de 5 pour un ligand C5H5.

On a ainsi obtenu le premier cluster mixte à ligand borole qui n’est aussi que le deuxième cluster palladium-rhénium structurellement caractérisé (malgré l’intérêt de ce couple métallique en catalyse). Ce cluster de cœur Pd2Re2 très original présente des propriétés structurales inhabituelles avec des centres palladium formellement à 14 électrons et des interactions Pd-B (2,59 Å) et Pd-C du phényle (2,27 Å) originales. On a également préparé le premier cluster à ligand boratanaphtalène, un losange Pd2Mo2 tandis que les complexes trinucléaires en chaîne ci-dessous permettent des comparatifs très intéressants avec les molécules isoélectroniques obtenues en série cyclopentadiényle.

6 Complexes hétérométalliques de l’or, effets relativistes entre ions en d10

En 1984 le premier cluster Pt-Au qui résultait d’une réaction inattendue au cours de laquelle le ligand hydrure de trans-[PtH(Cl)(PR3)2] était déplacé sous forme de proton par deux cations [Au(PPh3)]+. La distance Au-Au de 2,737 Å est plus courte que dans l’or métallique (2,884 Å) et traduit la forte tendance de l’or à s’associer à lui-même dont le fondement se trouve dans les effets relativistes qui sont très importants pour cet élément.

Ces résultats avaient incités à explorer la réactivité des polyhydrures d’iridium vis-à-vis de cations AuL+ et Ag+ et ont conduit à des complexes polymétalliques très originaux, modèles de polyhydrures de l’iridium encore inconnus à ce moment. L’addition de fragments [Au(PPh3)]+ à des complexes dinucléaires du platine conduit soit à des complexes dans lesquels l’addition se fait formellement sur la liaison métal-phosphore (cas du ligand µ-PR2) et non pas sur la liaison métal-métal. Dans ce cas, une liaison se développe entre le ligand Au(PPh3) et le phosphore en pont, conduisant ce dernier à se rapprocher d’un ligand µ3-PPh2 très original. Ceci avait également conduit à prédire la possibilité d’un mode de liaison pontant des ligands phosphines PR3, ce qui fut réalisé ultérieurement par H. Werner et qui a donné l’occasion de dresser un parallèle original entre chimie du carbone, du silicium et du phosphore.

Cette tendance forte de l’or à former des liaisons avec lui-même est responsable d’un réarrangement intermoléculaire qui conduit à un cœur métallique Fe-Au-Au-Fe en zigzag, très original.

On rapprochera cette structure de celle d’un complexe tétranucléaire à valence mixte Pd(I)-Pd(II) obtenu lors d’études de la réactivité de cations métalliques électrophiles sur Pd2(µ- Ph2PCH2PPh2)2Cl2. Les ions d10 ne sont pas incorporés dans le produit final mais servent d’abstracteurs sélectifs d’ions halogénures. Un autre cluster original avait été caractérisé au cours de ces études qui possède un cœur en forme de parallélogramme :

On a pu élaborer par étapes un cycle métallique à 10 chaînons dont l’enchainement des atomes décrit une hélice gauche, caractérisé par la première liaison Hg-Cu (2,689 Å), qui, étant en position transannulaire, assure un contrôle de la conformation du cycle. En outre, un phénomène d’oscillation autour de cette liaison métal-métal conduit à un mouvement de «pendule moléculaire».

Les analogues Ag-Hg et Au-Hg devraient donner lieu à des effets relativistes plus importants, qui captivent en ce moment les chimistes, bien longtemps après les physiciens. Caractérisations structurales et études théoriques sont en cours sur cette série isoélectronique très originale qui permet une étude comparative des effets relativistes et interactions de Van Der Waals entre ions chimiquement différents de configuration électronique d10.
Une extension très récente de la stratégie consistant à utiliser la métalladiphosphine Fe-Hg-Fe pour “capturer”   un ion d10 vient d’être appliquée au Pd(0). Ceci conduit au premier exemple de liaison d10-d10 Pd(0)-Hg(II) et a fait l’objet d’études théoriques poussées. L’inclinaison observée pour le Pd(0) par rapport aux positions occupées par Cu(I), Ag(I) ou Au(I) provient de l’établissement d’une liaison avec un carbonyle semi-ponté. En outre, cette molécule en forme d’hélice possède des propriétés dynamiques remarquables, le palladium oscillant le long de l’axe Fe-Hg-Fe. La réaction du complexe trimétalladiphosphine en chaîne Fe-Hg-Fe avec un précurseur de Pt(0) conduit à un résultat tout à fait différent de celui de Cu(I) et Pd(0). En effet, la première migration de ligand silyle d’un métal (ici le fer) vers un autre (le platine) en chimie des clusters intervient, ce qui conduit à une redistribution électronique importante au sein de la molécule. Une analyse théorique approfondie confirme que dans une première étape, la “capture” du Pt(0) pourrait se faire de manière semblable à celle du Cu(I) et serait suivie du réarrangement évoqué.

7 Premiers clusters à ligand coiffant methylidyne phosphonate

La synthèse des premiers clusters à ligand coiffant methylidyne phosphonate a été menée avec l’idée que des propriétés conférées par la fonction phosphonate, telles que solubilité dans l’eau et capacité d’assemblage de centres métalliques “hard et soft”, conduisent à des systèmes moléculaires originaux que l’on pourrait aussi valoriser en chimie du solide par des réactions de condensation ultérieures.

8 Cyanures polymétalliques - Cluster Pd4Mn4 en double hélice

Dans le cadre des comparatifs entre briques élémentaires disponibles en chimie des clusters, on a pu caractériser un cluster mixte à 8 atomes métalliques, de cœur Pd4Mn4, obtenu par un procédé d’auto assemblage quantitatif et possédant liaisons métal-métal et ponts cyanures qui confèrent une structure sans précédent et une esthétique remarquable à cette molécule: celle d’une double hélice de symétrie S4 et donc de stéréochimie méso (chaque hélice a une chiralité opposée). Le comparatif ci-dessous souligne la diversité des structures obtenues lorsqu’on fait réagir le complexe rectangulaire Pd4(OAc)4(CO)4 avec différents fragments organométalliques. Bien que ces derniers soient tous isoélectroniques, aucune de ces structures n’était prévisible.

9 Applications des clusters mixtes à l’élaboration de nouveaux (nano) matériaux catalytiques ou magnétiques

On a pu décrire le premier exemple d’application des clusters moléculaires hétérométalliques comme précurseurs moléculaires de catalyseurs hétérogènes bimétalliques entièrement originaux. Les particules métalliques obtenues par traitement thermique du cluster moléculaire supporté sur silice sont non seulement bimétalliques et hautement dispersées mais leur composition (rapport entre les 2 métaux) reflète celle du précurseur moléculaire. L’application des couples Pd/Mo et Pd/Fe à la synthèse catalytique des iso cyanates organiques est très connue (brevet).

A partir de certains de nos clusters Pd2Cr2, Pd2Mo2, Pd2W2 et Pt2Cr2, Pt2Mo2, Pt2W2, la société FORD MOTORS aux Etats-Unis a préparé des catalyseurs bimétalliques hautement dispersés pour pôts catalytiques. Une analyse des travaux réalisés au plan international sur l’utilisation des clusters hétérométalliques en catalyse homogène, supportée et hétérogène, montre la rapidité d’évolution du domaine. On travaille à l’élaboration de diverses stratégies pour ancrer des clusters moléculaires de manière covalente dans des matrices inorganiques afin de disposer d’outils appropriés en fonction du cluster moléculaire ou du matériau hôte que l’on souhaite utiliser. L’objectif est de réaliser un ancrage fort (par ligand assembleur pontant ou liaison covalente) entre les clusters moléculaires et le support afin d’éviter les problèmes de migration non contrôlée lors de leur conversion en nanoparticules métalliques. Dans ce cadre, on étudie actuellement la possibilité d’incorporer des clusters mixtes de manière covalente dans des gels de silice, via des ligands assembleurs fonctionnels, par une réaction de cocondensation entre des groupements trialcoxysilyles et Si(OEt)4. Le premier représentant de cette nouvelle famille de molécules a pu être synthétisé dans laquelle l’effet stabilisant du ligand pontant, bien que lié aux métaux de manière dative et non pas covalente, assure un bon ancrage.

Une autre approche pour ancrer un cluster à la matrice, cette fois de manière covalente, est d’utiliser des ligands alcynes possédant un groupe -Si(OR)3 terminal qui pourra être ensuite condensé avec Si(OEt)4. Le cluster ci-dessous en donne un exemple.

A partir de là, l’étude de ces gels fonctionnalisés par des clusters s’oriente vers les propriétés moléculaires de clusters dans un confinement minéral ainsi que vers la formation par traitement thermique de particules métalliques hautement dispersées aux propriétés catalytiques ou physiques originales. Des résultats récents concernent la préparation et l’étude des propriétés magnétiques de nanoparticules métalliques obtenues à partir de clusters mixtes pour les propriétés physiques, ou incorporés dans des mésoporeux.
Le dessin ci-dessous représente les étapes d’ancrage d’un cluster au sein d’une telle membrane d’alumine. De manière analogue, des colloïdes d’or ont été fixés dans ces nanotubes. Cette ouverture sur les nanomatériaux est particulièrement fructueuse du fait de son caractère pluridisciplinaire. L’obtention de phosphures métalliques dans des conditions douces, sous forme nanométrique, ouvre des perspectives très intéressantes dans le domaine des propriétés physiques et de la catalyse hétérogène.

Citons également l’utilisation de clusters mixtes Fe/Mo/S à stœchiométrie intermétallique variable comme « single source precursors » pour l’obtention de dépôts sur silice ou verres de borosilicates. Des phases d’oxydes mixtes Fe2MoxOz (3 < x < 4) furent obtenues et analysées.

Dans ce domaine des clusters métalliques, on assiste à une dialectique constante entre méthodologies de synthèse, caractérisations spectroscopiques et structurales, réactivité et activité catalytique en phase homogène, et utilisation pour la préparation de nanomatériaux originaux dont les propriétés physiques (magnétiques, ...) ou catalytiques en phase hétérogène sont des plus prometteuses.

10 Méthodes de calcul

Si on admet que la molécule considérée peut être décrite comme ayant un mode de liaisons localisées, c’est-à-dire que le nombre d’OM liantes est égal au nombre d’OM antiliantes et au nombre de liaisons (au sens de Lewis), mais aussi que le nombre de liaisons dans lesquelles est impliqué un élément ne peut excéder son nombre d’orbitales atomiques (OA) de valence, alors le principe de la couche fermée se ramène à la règle dite du NAE (Nombre Atomique Effectif). Cette règle stipule que dans une molécule, tout atome doit avoir dans son environnement un nombre d’électrons de valence égal à celui du gaz rare le plus proche de sa période. Cette règle ne permet pas d’interpréter intégralement la structure moléculaire en fonction du nombre d’électrons, mais seulement une partie de celle-ci : la connectivité. Pour les éléments principaux, la règle du NEA fixe le nombre d’électrons de valence à 8. C’est la règle de l’octet qui règne de façon quasi-hégémonique sur la chimie organique. Pour les éléments de transition, la règle du NAE prévoit un compte de 18 électrons. La règle des 18 électrons est largement respectée en chimie organométallique. On peut la déduire du diagramme d’interactions orbitalaires d’un complexe MLn (M = métal de transition, L = ligand à 2 électrons) qui est représenté sur la figure suivante. Ce diagramme assume seulement que le principe de la couche fermée est respecté et que le mode de liaison est localisé (nombre d’OM liantes = nombre d’OM antiliantes = n ≤ nombre d’OA de M, soit 9). On peut expliquer la règle de l’octet d’une façon similaire, par exemple à partir du diagramme d’interaction d’une molécule AHn (A = élément principal et n ≤ nombre d’OA de A, soit 4). Ainsi on peut voir sur la figure que le principe de la couche fermée implique l’occupation des n orbitales liantes et (9-n) orbitales non liantes, conduisant à un total de 18 électrons dans des OM à localisation métallique significative. Cependant, les exceptions à la règle des 18 électrons sont nombreuses. Ainsi, des pans entiers de la chimie de coordination dite “minérale”, domaine dans lequel la covalence est souvent faible, échappent à cette règle. Mais il existe des familles de complexes, qui bien que très covalents, ne respectent pas la règle des 18 électrons. Il s’agit des complexes plans (ML4 ou ML3) et des complexes linéaires ML2. Dans ces cas spécifiques, parmi les (9-n) orbitales métalliques non-liantes de la figure, une (cas des complexes plans) ou deux (cas des complexes linéaires) d’entre elles sont des orbitales de valence p. Dans le cas des complexes plans, il s’agit d’une orbitale pz perpendiculaire au plan.

Il s’agit d’un diagramme d’interactions orbitalaires d’un complexe MLn (M = métal de transition ; L = ligand à 2 électrons ; n ≤ 9). Cas général où les (9-n) orbitales non liantes sont à caractère d. Dans le cas des complexes linéaires, il s’agit de deux orbitales perpendiculaires à l’axe moléculaire. Dans les deux cas, ces OA p sont rigoureusement non-liantes par symétrie. Du fait de la haute énergie de la sous-couche de valence p, ces orbitales ne sont pas “accessibles” aux électrons. En d’autres termes, le principe de la couche fermée est respecté lorsque ces OA ne sont pas occupées, ce qui conduit respectivement à un compte favorable de 16 ou 14 électrons. Ces cas particuliers sont schématisés sur la figure suivante.

Dans les composés où la connectivité entre les atomes devient plus grande que leur nombre d’orbitales atomiques, le mode de liaison ne peut plus être considéré comme de type localisé, et par conséquent la règle du NAE n’est plus valide. C’est le cas de nombreux clusters (ou agrégats) moléculaires, qu’ils soient constitués d’atomes du groupe principal et/ou de métaux de transition. Le mot cluster a été défini dans les années  1960 par Cotton et s’appliquait à l’époque spécifiquement aux composés de métaux de transitions inorganiques. Le cluster était défini comme « un groupe fini d’atomes métalliques liés entre eux, bien que des atomes non métalliques peuvent être impliqués dans le cluster ». Depuis, le sens du mot cluster a été étendu à tous les éléments du tableau périodique et désigne un composé dans lequel un groupe d’atomes liés entre eux forme un arrangement polyédrique ou polygonal et auquel sont attachés des ligands situés à l’extérieur du polyèdre. Outre l’aspect purement fondamental, l’intérêt pour ces composés repose sur diverses applications telles que la catalyse, les propriétés optiques et de luminescence. Si du fait de la grande connectivité présente dans de nombreux composés clusters, la règle du NAE ne peut s’appliquer, la chimie structurale des clusters moléculaires viables obéit toujours au principe de la couche fermée. Selon le type de cluster et la nature des liaisons qu’ils présentent, plusieurs modèles qualitatifs ont été développés pour décrire leur structure électronique et interpréter leur structure sur la base de comptes électroniques favorables qui satisfont au principe de la couche fermée.