Imprimer tout le livreImprimer tout le livre

cours Stratégies de développement

cours Stratégies de développement

Site: Touch By SukaJanda01
Cours: ECONOMIE DU DEVELOPPEMENT (Année 2015)
Livre: cours Stratégies de développement
Imprimé par: Visiteur anonyme
Date: jeudi 1 mai 2025, 17:35

1 Introduction

Plusieurs stratégies de développement se sont succédé à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Leurs fondements sont intimement liés au contexte diplomatique, commercial et idéologique de leurs époques respectives : choix du libre-échange ou du protectionnisme, de l’État ou du marché, inspirations libérales ou keynésiennes…

2 LES STRATÉGIES D’INDUSTRIALISATION

L’accomplissement de ces stratégies va se dérouler des années 1950 jusqu’au début des années 1980. Elles sont le fait de pays souvent nouvellement indépendants suite au processus de décolonisation. La plupart de ces pays vont faire jouer un rôle primordial à l’État du fait du contexte mondial keynésien pour le bloc de l’Ouest et de l’hégémonie socialiste dans le bloc de l’Est : c’est l’idéologie triomphante du volontarisme politique qui permettra d’amorcer une industrialisation tardive.

2.1 Les fondements des stratégies d’industrialisation

Le choix de l’industrie

La plupart des pays du tiers-monde vont choisir de privilégier l’industrie au détriment de l’agriculture. Un consensus se met en place pour lier de manière forte développement et industrialisation. En effet, beaucoup de pays ont en mémoire les dégâts provoqués par leur spécialisation dans les produits primaires. De plus, le secteur industriel est supposé être facteur d’externalités positives par des effets d’entraînement sur les autres secteurs de l’économie – par l’intermédiaire de gains de productivité, d’un accroissement de la qualifi cation de la main-d’œuvre et en suscitant du progrès technique. De l’autre côté, l’agriculture est considérée comme un secteur archaïque, à faible potentiel de productivité, qui se développera grâce aux effets d’entraînement de l’industrie. On retrouve donc ici l’influence de la thèse dualiste d’Arthur Lewis.

Le raisonnement à maîtriser : l’effet d’entraînement

L’effet d’entraînement est un mécanisme par lequel la croissance d’un secteur est censée entraîner l’expansion d’autres secteurs de l’économie du fait du poids ou de l’avancée technologique du secteur leader. Cet effet passe par l’apparition d’externalités positives (innovations technologiques qui vont profi ter aux techniques de production de l’ensemble de l’économie par exemple). Se met alors en place un cercle vertueux de croissance où chaque secteur de l’économie entraîne l’expansion des autres par des effets de liaison.

 

Croissance équilibrée ou déséquilibrée

Il faut cependant choisir dans quelles branches de l’industrie investir. Deux thèses s’opposent sur le sujet. Ragnar Nurske et Paul Rosenstein-Rodan considèrent qu’il faut développer une croissance équilibrée, c’est-à-dire répartir les investissements dans toutes les branches industrielles afin d’assurer simultanément une offre et une demande pour éviter tout déséquilibre. Ils s’appuient sur la loi des débouchés de Say, clé de voûte des théories néoclassiques de la croissance. À l’inverse, Albert Hirschman et François Perroux font pour leur part la promotion de la croissance déséquilibrée : il faut concentrer les investissements dans les secteurs moteurs de l’économie (les « pôles de croissance » de François Perroux) afi n de susciter une croissance généralisée par la suite à travers des effets d’entraînement et de liaison. Il ne faut donc pas gaspiller le capital dans des branches qui n’auront pas de retombées positives sur toute l’économie. Ces travaux susciteront les stratégies basées sur le développement de l’industrie lourde. Si les stratégies de développement de cette époque convergent sur le rôle de l’industrie et de l’État, elles divergent sur celui du commerce international comme nous allons le voir maintenant.

2.2 Le développement autocentré

Le premier type de stratégies de développement regroupe des industrialisations basées sur le développement du marché intérieur : c’est le développement autocentré. Elles reflètent un « pessimisme pour les exportations » vécu par ces pays à la suite de spécialisations défaillantes (souvent dues à un passé de colonie) et d’une dégradation des termes de l’échange.

 

L’industrialisation par substitution aux importations (ISI)

Cette stratégie d’industrialisation par substitution aux importations (le « desarrollisme », de l’espagnol desarrollo = développement), d’abord simple improvisation des grands pays d’Amérique latine, est ensuite théorisée par la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) et les travaux de Raul Prebisch qui reprennent le « protectionnisme éducateur » de Friedrich List. Elle est mise en œuvre dans les années 1950 dans la majorité des PED, généralisée en Amérique latine mais aussi en Asie (Corée, Philippines…) et en Afrique (Sénégal, Kenya…). Il s’agit de se libérer de la dépendance au commerce international en substituant progressivement la production nationale aux importations. L’accroissement de la production nationale présuppose une demande interne suffisante pour l’absorber et éviter une crise de surproduction. Cette stratégie nécessite donc la mise en place d’une réforme agraire pour redistribuer les revenus et la constitution de marchés intégrés régionaux (comme le traité de Montevideo de 1960 instaurant une zone de libre-échange, l’Association latino-américaine de libre commerce – ALALC). Elle nécessite aussi des politiques protectionnistes et le fi nancement des investissements massifs, provenant souvent de l’extérieur (financement par endettement international que nous étudierons par la suite). Le développement doit être assuré par une stratégie de remontée de filière qui permet de diversifier la production. Le pays produit d’abord des biens de consommation basiques (biens alimentaires, textile), puis il produit des biens plus élaborés (chimie puis biens industriels, d’équipement…).

À terme, cette stratégie d’industrialisation par l’aval doit donc aboutir à une production industrielle diversifiée assise sur un marché intérieur stable

Le concept-clé à connaître : la remontée de filière

Il s’agit d’un processus permettant de réaliser la production située en amont. En produisant un bien, on acquiert progressivement des techniques de production permettant de réaliser les facteurs de production nécessaires à sa fabrication. On peut alors ensuite produire en amont les biens intervenant dans la production du premier et ainsi de suite. À terme, il est possible de maîtriser l’ensemble d’une filière depuis l’aval jusqu’en amont. C’est une stratégie permettant la concentration verticale au niveau des entreprises que les pays peuvent aussi réaliser.

Les industries industrialisantes

Une autre voie, suivie en particulier par l’Inde dans les années 1950 et l’Algérie à partir de 1967, est de construire une industrie par l’amont et non par l’aval (comme l’ont réalisé les pays précédents), par une politique volontariste de l’État à travers une planification publique (plans quinquennaux indiens à partir de 1948) : c’est la stratégie des industries industrialisantes.

Inspirées de l’expérience de l’URSS et de la thèse de la croissance déséquilibrée de François Perroux (en particulier pour l’Algérie), cette stratégie amène l’État à orienter les investissements à la place du marché (la faible rentabilité initiale de ces investissements découragerait des acteurs privés) dans les secteurs stratégiques pour constituer des pôles industriels de croissance qui, par les effets d’entraînement (industries « industrialisantes »), propageront le développement dans tous les autres secteurs industriels en aval. Ces secteurs privilégiés sont ceux de l’industrie lourde en amont du processus productif qui, en dégageant des gains de productivité, favoriseront la croissance de l’économie tout entière (mécanisation de l’agriculture par exemple…). Le secteur primaire, lui, doit fournir les biens de consommation intermédiaires à l’industrie et des débouchés aux biens d’équipement qui y sont produits.

Ainsi l’Algérie oriente, par la planification de ses investissements, ses capitaux vers l’industrie de biens d’équipement. L’État réunit plusieurs industries en « pôles de croissance » censés générer des synergies et des externalités positives : la sidérurgie, la chimie, la mécanique… Pour accélérer l’industrialisation sont importées des technologies modernes des pays développés.

Les raisons d’un échec

À court terme, ces stratégies semblent atteindre leurs buts : la production industrielle se diversifie à travers la constitution d’un appareil productif modernisé et la richesse produite par habitant augmente, en particulier dans les grands pays comme l’Inde, le Brésil ou le Mexique. Mais, à la fin des années 1970, un constat s’impose : ces stratégies n’ont pas permis d’entretenir un processus durable de croissance et de développement ; la pauvreté et les inégalités sont toujours fortement présentes. Pourquoi cet échec ? Tout d’abord, l’insuffisance du marché intérieur ne permet pas d’assurer des débouchés aux produits industriels (par exemple, l’intégration régionale du traité de Montevideo est un échec, ce qui ne permet pas de réaliser l’extension des marchés) et les biens d’équipement ne sont pas compétitifs sur le marché international. De plus, ces stratégies nécessitent un accroissement des importations, en particulier des technologies et des biens d’équipement pour assurer l’industrialisation, mais aussi parfois de produits agricoles du fait de l’abandon du secteur primaire.

Les pays se retrouvent dans une situation de dépendance technologique vis-à-vis de l’extérieur, ce qui va générer un déficit important de leur balance des paiements. Cette dépendance va prendre la forme de la « crise de la dette » dans laquelle vont s’enfoncer plusieurs pays d’Amérique latine à partir de 1982. Les libéraux, eux, vont pointer trois responsabilités dans cet échec : un État trop présent qui se substitue au marché, une spécialisation industrielle trop précoce et un développement qui s’est coupé du commerce international.

2.3 Le développement extraverti

Une partie des pays du tiers-monde va suivre une autre stratégie d’industrialisation, passant par une participation croissante au commerce international (développement extraverti*), suivant en cela les principes de la théorie néoclassique des avantages comparatifs, avec plus ou moins de succès.

L’exportation de produits primaires

Des PED dotés de ressources naturelles abondantes, comme le pétrole, vont suivre une stratégie classique de spécialisation dans l’exportation de ces produits primaires : ressources naturelles, produits agricoles, etc. Les ressources financières tirées de ces exportations doivent permettre d’importer des biens d’équipement pour favoriser l’industrialisation du pays. Comme nous l’avons vu précédemment, cette stratégie s’est avérée ruineuse pour nombre de pays spécialisés dans une monoculture, du fait de la dégradation des termes de l’échange, dégradation qui touche aussi les pays exportateurs de pétrole dans les années 1980 à la suite des deux chocs pétroliers des années 1970. De plus, la forte volatilité des cours des produits primaires ainsi que la concurrence et les pratiques protectionnistes des pays du Nord rendent ce processus de développement instable. Beaucoup de ces pays, hormis les pays de l’OPEP, font partie des PMA aujourd’hui du fait de leur spécialisation internationale défaillante.

La promotion des exportations (PE)

Cette stratégie de promotion des exportations , appelée aussi « substitution aux exportations », a été initiée dès les années 1950 par deux pays asiatiques, Hong Kong et Singapour, rejoints dans les années 1960-1970 par la Corée du Sud et Taiwan (ces quatre pays devenant les NPIA : nouveaux pays industrialisés asiatiques ou les « Dragons asiatiques ») et certains pays d’Amérique latine comme le Brésil, le Chili ou le Mexique. Dans les années 1980, d’autres pays asiatiques leur emboîtent le pas : Chine, Malaisie, Thaïlande. Il s’agit de substituer progressivement aux exportations de produits primaires des produits de plus en plus élaborés par la remontée de filières : remplacer les exportations traditionnelles par de nouvelles, plus intensives en capital et à plus forte valeur ajoutée ; passer de l’industrie légère à l’industrie lourde, en intégrant progressivement du progrès technique et en assurant la formation de la main-d’oeuvre.

Ce développement extraverti n’a donc été un succès que pour les pays qui ont su faire évoluer leur spécialisation en remontant la filière de leurs exportations. Ainsi plusieurs pays d’Amérique latine n’ont pas réussi à sortir de leur spécialisation initiale et ont vu leur dette extérieure s’accroître fortement à la fin des années 1970 et au début des années 1980. La crise asiatique de 1997, qui a secoué durement la Thaïlande ou la Malaisie, démontre aussi la fragilité de cette stratégie si la remontée de filière ne se fait pas assez vite : ces pays se retrouvent dépendants des firmes transnationales (phénomène des « pays ateliers ») qui y sont implantées et qui peuvent démanteler leurs unités de production très rapidement en cas de retournement de situation politique, économique ou sociale.

 

L’exemple à savoir : les NPIA

Cette stratégie a abouti à un succès éclatant, celui des NPIA, cités en exemple par les théories libérales du commerce international pour prouver les mérites de la spécialisation. Ces pays ont su attirer les investissements directs à l’étranger (IDE) des firmes transnationales par une politique du crédit avantageuse et une main-d’œuvre qualifiée et bon marché. C’est en important des technologies et des savoir-faire plus perfectionnés (parfois aussi par le copiage) que ces pays ont bénéficié de transferts de technologie, lesquels leur ont permis de remonter la filière de leurs exportations et de venir concurrencer les pays développés au niveau international dans la production de biens manufacturés de consommation courante, comme l’électronique grâce au faible coût de leur main-d’œuvre (forte compétitivité-prix). Ils ont aussi bénéficié d’un positionnement géographique favorable et d’un contexte culturel basé sur la docilité et l’éthique du travail.

 

3 Conclusion

Des stratégies plus complémentaires qu’opposées

Le contresens à éviter : opposer radicalement développements autocentré et extraverti

Ces deux stratégies ne doivent pas être opposées l’une à l’autre d’une manière trop simpliste. Au-delà de leurs différences, elles se retrouvent autour de plusieurs points communs : place essentielle de l’industrie, même objectif final d’une structure productive nationale diversifiée, place très importante de l’État dans le processus d’industrialisation (y compris dans les stratégies extraverties), objectif de maîtriser le commerce international (soit par les importations, soit par les exportations).

La réussite des NPIA dans leur développement extraverti ou de certains développements autocentrés (au moins à court terme) provient finalement de la complémentarité de ces deux stratégies :

chercher, à la fois, à développer ses exportations en fonction de ses avantages comparatifs et

de ses objectifs de spécialisation, et à réguler ses importations en fonction des besoins de l’industrialisation et des exportations ;

ouverture au commerce international couplée avec des pratiques de protectionnisme éducateur pour assurer le développement des industries exportatrices naissantes hors de toute compétition internationale ;

attirer les IDE des firmes transnationales (le développement autocentré des pays d’Amérique latine est passé par l’implantation de firmes étrangères sur le territoire) pour bénéficier de transferts de technologie.

En bref, la promotion des exportations nécessite de se protéger de certaines importations qui pourraient concurrencer l’émergence des nouvelles industries exportatrices encore fragiles. La

substitution aux importations nécessite, elle, un accroissement des exportations pour assurer des débouchés à la production industrielle nationale.