cours Stratégies de développement
2 LES STRATÉGIES D’INDUSTRIALISATION
2.2 Le développement autocentré
Le premier type de stratégies de développement regroupe des industrialisations basées sur le développement du marché intérieur : c’est le développement autocentré. Elles reflètent un « pessimisme pour les exportations » vécu par ces pays à la suite de spécialisations défaillantes (souvent dues à un passé de colonie) et d’une dégradation des termes de l’échange.
L’industrialisation par substitution aux importations (ISI)
Cette stratégie d’industrialisation par substitution aux importations (le « desarrollisme », de l’espagnol desarrollo = développement), d’abord simple improvisation des grands pays d’Amérique latine, est ensuite théorisée par la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) et les travaux de Raul Prebisch qui reprennent le « protectionnisme éducateur » de Friedrich List. Elle est mise en œuvre dans les années 1950 dans la majorité des PED, généralisée en Amérique latine mais aussi en Asie (Corée, Philippines…) et en Afrique (Sénégal, Kenya…). Il s’agit de se libérer de la dépendance au commerce international en substituant progressivement la production nationale aux importations. L’accroissement de la production nationale présuppose une demande interne suffisante pour l’absorber et éviter une crise de surproduction. Cette stratégie nécessite donc la mise en place d’une réforme agraire pour redistribuer les revenus et la constitution de marchés intégrés régionaux (comme le traité de Montevideo de 1960 instaurant une zone de libre-échange, l’Association latino-américaine de libre commerce – ALALC). Elle nécessite aussi des politiques protectionnistes et le fi nancement des investissements massifs, provenant souvent de l’extérieur (financement par endettement international que nous étudierons par la suite). Le développement doit être assuré par une stratégie de remontée de filière qui permet de diversifier la production. Le pays produit d’abord des biens de consommation basiques (biens alimentaires, textile), puis il produit des biens plus élaborés (chimie puis biens industriels, d’équipement…).
À terme, cette stratégie d’industrialisation par l’aval doit donc aboutir à une production industrielle diversifiée assise sur un marché intérieur stable
Le concept-clé à connaître : la remontée de filière Il s’agit d’un processus permettant de réaliser la production située en amont. En produisant un bien, on acquiert progressivement des techniques de production permettant de réaliser les facteurs de production nécessaires à sa fabrication. On peut alors ensuite produire en amont les biens intervenant dans la production du premier et ainsi de suite. À terme, il est possible de maîtriser l’ensemble d’une filière depuis l’aval jusqu’en amont. C’est une stratégie permettant la concentration verticale au niveau des entreprises que les pays peuvent aussi réaliser. |
Les industries industrialisantes
Une autre voie, suivie en particulier par l’Inde dans les années 1950 et l’Algérie à partir de 1967, est de construire une industrie par l’amont et non par l’aval (comme l’ont réalisé les pays précédents), par une politique volontariste de l’État à travers une planification publique (plans quinquennaux indiens à partir de 1948) : c’est la stratégie des industries industrialisantes.
Inspirées de l’expérience de l’URSS et de la thèse de la croissance déséquilibrée de François Perroux (en particulier pour l’Algérie), cette stratégie amène l’État à orienter les investissements à la place du marché (la faible rentabilité initiale de ces investissements découragerait des acteurs privés) dans les secteurs stratégiques pour constituer des pôles industriels de croissance qui, par les effets d’entraînement (industries « industrialisantes »), propageront le développement dans tous les autres secteurs industriels en aval. Ces secteurs privilégiés sont ceux de l’industrie lourde en amont du processus productif qui, en dégageant des gains de productivité, favoriseront la croissance de l’économie tout entière (mécanisation de l’agriculture par exemple…). Le secteur primaire, lui, doit fournir les biens de consommation intermédiaires à l’industrie et des débouchés aux biens d’équipement qui y sont produits.
Ainsi l’Algérie oriente, par la planification de ses investissements, ses capitaux vers l’industrie de biens d’équipement. L’État réunit plusieurs industries en « pôles de croissance » censés générer des synergies et des externalités positives : la sidérurgie, la chimie, la mécanique… Pour accélérer l’industrialisation sont importées des technologies modernes des pays développés.
Les raisons d’un échec
À court terme, ces stratégies semblent atteindre leurs buts : la production industrielle se diversifie à travers la constitution d’un appareil productif modernisé et la richesse produite par habitant augmente, en particulier dans les grands pays comme l’Inde, le Brésil ou le Mexique. Mais, à la fin des années 1970, un constat s’impose : ces stratégies n’ont pas permis d’entretenir un processus durable de croissance et de développement ; la pauvreté et les inégalités sont toujours fortement présentes. Pourquoi cet échec ? Tout d’abord, l’insuffisance du marché intérieur ne permet pas d’assurer des débouchés aux produits industriels (par exemple, l’intégration régionale du traité de Montevideo est un échec, ce qui ne permet pas de réaliser l’extension des marchés) et les biens d’équipement ne sont pas compétitifs sur le marché international. De plus, ces stratégies nécessitent un accroissement des importations, en particulier des technologies et des biens d’équipement pour assurer l’industrialisation, mais aussi parfois de produits agricoles du fait de l’abandon du secteur primaire.
Les pays se retrouvent dans une situation de dépendance technologique vis-à-vis de l’extérieur, ce qui va générer un déficit important de leur balance des paiements. Cette dépendance va prendre la forme de la « crise de la dette » dans laquelle vont s’enfoncer plusieurs pays d’Amérique latine à partir de 1982. Les libéraux, eux, vont pointer trois responsabilités dans cet échec : un État trop présent qui se substitue au marché, une spécialisation industrielle trop précoce et un développement qui s’est coupé du commerce international.