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cours sur le chapitre 1

1 Introduction

Les idées et les doctrines politiques - leur élaboration, leur transmission, leur rapport aux faits et à la réalité...- ont longtemps fait l'objet d'un enseignement et d'un traitement historique dont particulièrement les historiens du droit avaient la charge dans les facultés de droit. Bien souvent, cette orientation disciplinaire conduisit à privilégier certaines périodes, en particulier l'Antiquité et le Moyen Age. C'est avec l'émergence de la science politique comme discipline universitaire autonome que les politistes eux-mêmes (parfois doublés de sociologues ou de philosophes) enseignent à leur tour l'histoire des idées et des doctrines politiques, notamment, en France, dans les Instituts d'études politiques (IEP) [1]. L'histoire des idées politiques, discipline historique dans les facultés de lettres, désigne en science politique la perception qu'ont les polistes de l'évolution des idées et doctrines qui inspirent leurs analyses sociologiques et problématiques théoriques. Elle oscille entre la théorie (philosophie) et les sciences sociales (droit, sociologie, histoire, économie...).

 L'histoire des idées politiques a connu un renouveau grâce aux travaux d'historiens tels que Quentin SKINNER[2] et John POCOCK[3] , qui ont donné à l'étude d'auteurs anciens et modernes une nouvelle jeunesse, en particulier à travers l'application d'une pratique rigoureuse du travail d'archives à l'histoire des idées politiques, pratique mettant en lumière le contexte d'élaboration et les modes de circulation des idées. L'appropriation par des spécialistes de science politique permet l'élaboration d'une histoire des idées politiques. Cependant, comprendre les grandes théories politiques passe nécessairement par l'étude de l'histoire des idées, notamment « les grandes œuvres de la littérature politique qui jalonnent la route de l'humanité. » Or, l'élément de base à ce sujet est la notion d'« idée » dont la signification est souvent calquée sur la notion de « théorie » ou encore de « doctrine ». On peut présenter l'histoire des idées politiques comme une forme de soubassement disciplinaire de la théorie politique même si l'étude des idées, des doctrines et de la pensée politique ne peut dispenser celui qui l'exerce d'une attention aux faits et phénomènes politiques du temps présent, à laquelle la philosophie politique apporte son indispensable éclairage. Ceci dit, il faut opérer une différence entre théorie, doctrine et les idées politiques. Dans une première approche, les termes « théorie » et « doctrine » comportent une signification précise:

- la doctrine porte un jugement sur les faits et est assortie des projets de réforme qui en découlent,

- la théorie correspond à la systématisation objective des observations, à leur interprétation et, dans la mesure du possible, à leur explication et à leur généralisation.

Quant à l'expression « Histoire des idées politiques », elle peut être perçue  comme une discipline qui essaie de saisir l'épaisseur du temps dans la formation de la pensée politique occidentale. Au-delà du simple inventaire des auteurs et des œuvres, il s'agit de retracer la marche des idées politiques à travers les siècles, en les confrontant aux grandes évolutions sociales, économiques et culturelles qui ont marqué l'histoire. Comme toutes les sciences sociales, l'histoire des idées politiques est jalonnée de controverses, de débats et renvoie à des réalités académiques très diverses. On recourt à cette discipline malgré cette diversité d'approches, allant de l'histoire tout simplement à la pensée politique, voire jusqu'à la philosophie politique, il apparaît clairement qu'il s'agit prioritairement d'étudier des productions intellectuelles, « des projets philosophiques, des doctrines politiques ou sociales et des opinions savantes qui s'interrogent sur la légitimité de l'ordre politique global et sur les moyens de le maintenir ou de le changer »[4]. Toutefois, l'histoire des idées politiques ne peut pas se concentrer uniquement sur les grandes théories politiques et rejeter avec dédain les récits non rationnels, les savoirs ordinaires, les représentations sociales, les croyances religieuses, les mythes ou les symboles.

Il reste que les historiens ont des conceptions diverses sur la place qu'occupent les idées (religieuses, philosophiques, juridiques...) dans les dynamiques sociales et politiques[5].Sous cet angle l'histoire des idées politiques est l'histoire des théories politiques mais la politique n'est pas simplement la théorie, c'est aussi la pratique. C'est une technique. Dès lors, l'étude des idées politiques englobe donc un corpus largement considéré de représentations, qu'elles soient sous forme d'ensembles structurés (théories et doctrines) ou clairsemés dans des écrits, contribuant à la compréhension de l'action et de l'évolution de l'homme au sein de la société.Cela dit, l'histoire des idées politiques ne saurait se borner à faire un « inventaire » des grands auteurs, un commentaire approfondi des œuvres et théories de la philosophie politique sans se soucier du contexte historique9. Certes, il convient d'éviter le piège de « l'historicisme », c'est-à-dire l'attitude intellectuelle qui consiste à considérer les œuvres philosophiques comme des produits de l'histoire en se désintéressant de ce qu'elles disent sur le fond. Faire de l'histoire des idées politiques, c'est tenter de comprendre comment les philosophies naissent et se développent comme des réponses (morales ou juridiques) argumentées aux interrogations que se pose la société au moment où leurs auteurs les formulent.

 Les œuvres de Platon, d'Aristote, de Platon, de Cicéron, de Polybe, de Saint-Thomas d'Aquin, de Saint Augustin, de  Machiavel ou de Karl Marx, sont les principaux jalons de la pensée politique qui ont exercé une action directrice sur l'évolution de l'exercice du pouvoir au sein de la cité et de l'État moderne. C'est de l'essence même des écrits mémoriaux de cette envergure que nous tirerons l'essentiel de l'objet de notre cours. Pour mieux articuler notre cours, nous allons voir les idées politiques de l'antiquité gréco-romaine (chapitre1) avant d'examiner celles du moyen- âge à la renaissance (chapitre2).



[1]Cf Jean TOUCHARD, Histoire des idées politiques (1954)

[2]Quentin SKINNER, Fondements de la pensée politique moderne, Paris, Albin Michel, 2001 ; « Meaning and Understanding in the History of Ideas », History and Theory, 1969, 8, pp. 3-53.

[3] 3- John POCOCK, The Machiavellian Moment, 1976.

[4] Olivier NAY, Histoire des idées politiques, Paris, Armand Colin, 2004, p. 2

[5] Pour aller plus loin dans ce débat des historiens, voir : BERNSTEIN, Serge, MILZA, Pierre (dir.), Axes et méthodes de l'histoire politique, 1998 ; BRAUDEL, Fernand, Ecrits sur l'histoire (1969), Paris, Champ Flammarion, 2001 ; CERTEAU, Michel (de), L'écriture de l'histoire (1975), Paris, Gallimard, 2002 ; PESCHANSKI, Denis, POLLAK,Michael, ROUSSO, Henri (dir.), Histoire politique et sciences sociales, Bruxelles,Complexe, 1991.