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Termes spectroscopiques

7 Interprétation quantitative des spectres

Pour comprendre l'origine de la deuxième transition pour le complexe [Cr(H2O)6]3+, il faut étudier plus en détail la structure électronique des ions de transition et tenir compte de la répulsion électron-électron. Jusqu'à présent celle-ci a été introduite dans le cas où elle est maximum, c'est-à-dire quand deux électrons occupent la même orbitale, sous la forme d'une quantité énergétique P. Lorsque P est beaucoup plus grand que Δ0, la structure électronique de l'ion considéré est profondément modifiée : le complexe à champ fort préfère associer tous ses électrons dans des orbitales t2g par souci de gain en énergie. Lorsque deux électrons occupent deux orbitales différentes orientées dans l'espace dans une direction commune, la répulsion électron-électron est plus faible mais elle existe. Elle aura pour effet de créer à partir d'un état dégénéré issu d'une configuration plusieurs niveaux d'énergies différentes.

Une configuration donnée (t2g)a(eg)b donne naissance, à cause de la répulsion « électron-électron », à plusieurs niveaux d'énergie différents, représentés par un terme spectroscopique. Les transitions entre termes spectroscopiques ont des énergies couvrant le domaine du visible. Les spectres optiques des composés de coordination ne s'interprètent donc pas comme un saut électronique t2g → eg, mais comme une transition entre termes spectroscopiques (T2g → Eg).

De la même manière que nous avons comparé P et Δ0 (= 10 Dq) jusqu'à présent, nous allons comparer la répulsion électron-électron traitée dans sa globalité (qui sera notée par la suite RE) et le champ cristallin. Commençons par examiner deux cas limite : la situation champ faible Δ0 << RE et la situation champ fort Δ0 >> RE.

7-1 Structure électronique des complexes à champ faible

Le champ cristallin est faible, les effets de la RE dominent : Δ0 << RE. Nous considérons d'abord l'effet de la RE sur les niveaux d'énergie de l'ion libre. Les cinq orbitales d (ou si l'on tient compte du spin les dix spin-orbitales) sont toutes de même énergie. Pour la configuration d3, il faut placer trois électrons (ou trois objets) parmi dix spin-orbitales (ou dix cases). La statistique permet d'évaluer le nombre de possibilités de ranger p objets dans n cases, selon :

Avec n, nombre de spin-orbitales et p, le nombre d'électrons. Pour d3, n = 10, p = 3, soit . Il existe 120 possibilités de ranger 3 électrons sur 10 spin-orbitales.

La configuration d3 regroupe à elle seule 120 états d'énergie équivalente égale à trois fois l'énergie d'une orbitale d, soit 3.Ed. La RE va lever cette dégénérescence en créant huit niveaux d'énergie différents qui sont les  termes spectroscopiques.

 

7-2 Structure électronique des complexes à champ fort

 Δ0 >> RE, le champ cristallin est fort, et ses effets sur les niveaux d'énergie dominent.

L'effet du champ cristallin sur une configuration dn est traité dans un premier temps. Ainsi les orbitales d deviennent en champ octaédrique les orbitales t2g d'énergie -2/5 Δ0 et les orbitales eg d'énergie -3/5 Δ0. A partir de la configuration d3, on obtient les configurations d'énergie et de dégénérescence différente :

  • (t2g)3 d'énergie égale à 3(-2/5 Δ0) = -6/5 Δ0,
  •  (t2g)2(eg)1 d'énergie égale à 2(-2/5)Δ0 + 3/5Δ0 = - 1/5 Δ0,
  •  (t2g)1(eg)2 d'énergie égale à -2/5Δ0 + 2(3/5Δ0) = 4/5 Δ0,
  •  (eg)3 d'énergie égale à  3(3/5Δ0) = 9/5 Δ0.

La RE a pour effet de lever partiellement cette dégénérescence pour créer les séries de termes spectroscopiques déjà identifiés dans la première situation. Cette situation donne accès à l'énergie des termes.

7-3 Corrélation « champ faible-champ fort ». Diagrammes de Tanabé-Sugano

La réalité étant très souvent intermédiaire entre un champ faible et un champ fort, on établit une corrélation termes à termes de l'approche champ faible vers l'approche champ fort (figure suivante).

Cette corrélation aboutit à la construction d'un diagramme de Tanabé-Sugano (figure ci - après), où l'énergie des termes est portée selon E/B = f (Δ/B), B (terme relatif à la répulsion électronique) étant le paramètre de Racah. Le terme fondamental est ainsi confondu avec l'axe des abscisses.

7-4 Interprétation

Interpréter un spectre signifie que l'on est capable d'identifier les termes excités atteints lors de chacune des transitions en considérant le diagramme de Tanabé - Sugano décrivant la configuration étudiée. Une interprétation qualitative du spectre de [Cr(H2O)6]3+; (configuration d3, diagramme figure précédente) est la suivante :

      Le terme fondamental est 4A2g, terme issu de la configuration de plus basse énergie (t2g)3.

      La configuration excitée de plus basse énergie est (t2g)2(eg)1. La RE va créer deux termes spectroscopiques de même multiplicité de spin que le terme fondamental 4T2g et 4T1g. On obtient deux transitions dans le domaine du visible :

  • 1ère transition : 4A2g4T2g ;
  • 2ème transition : 4A2g4T1g ;

A priori, une troisième transition devrait être observée, correspondant à la transition entre l'état fondamental 4A2g et le terme excité 4T1g le plus haut en énergie. Dans les faits, cette transition est trop haute en énergie pour être observée dans le domaine du visible.

On remarque que l'on a volontairement négligé la transition vers les termes excités 2Eg, 2T1g. En effet la transition du terme fondamental 4A2g vers ces deux termes de même énergie est une transition qui modifie le spin du système. Ce type de transitions est interdit selon les règles de sélection, donc à priori non observable. Or, si on examine le spectre de manière attentive, il existe un épaulement dans le pied de la bande correspondant à la transition  4A2g4T2g ; situé en dessous de 16 000 cm-1 (λ = 625 nm).

Cet épaulement correspond à la transition 4A2g4Eg, 2T1g peu intense masquée par la transition permise de spin. Des mécanismes de relaxation mentionnés au début de ce chapitre sont à l'origine de son observation.

Une fois l'analyse qualitative effectuée, l'interprétation quantitative du spectre permet de déterminer Δ et B. Pour cela, nous allons effectuer une résolution graphique.

Pour déterminer les deux inconnues Δ et B, nous allons effectuer une résolution graphique. Nous remarquons sur le diagramme que la pente du premier terme excité 4T2g est égale à un. Par conséquent, on a pour ce terme E2/B = 1. Δ/B, soit E2 = Δ. La première transition nous donne directement la valeur de Δ, soit Δ= 17400 cm-1. Pour estimer B, nous calculons le rapport (E2/B)/(E1/B) = E2/E1, soit 24600/17400 = 1,41. Cette astuce nous permet d'éliminer l'inconnue B sur un des axes. On cherche alors graphiquement le rapport correspondant E2/E1 = 1,41 sur l'axe des ordonnées, et quand il est trouvé, il suffit de lire sur l'axe des abscisses la valeur de Δ/B, soit dans ce cas 25. On trouve donc pour B = 700 cm-1.